n’y mettroit point de différence ; l’inconstance seroit même inconnue, et on s’aimeroit toujours avec le même plaisir, parce qu’on auroit toujours les mêmes sujets de s’aimer. Les changements qui arrivent dans l’amitié ont à peu près des causes pareilles à ceux qui arrivent dans l’amour[1] ; leurs règles ont beaucoup de rapport : si l’un a plus d’enjouement et de plaisir, l’autre doit être plus égale et plus sévère, et ne pardonner rien[2] ; mais le temps, qui change l’humeur[3] et les intérêts, les détruit presque également tous deux. Les hommes sont trop foibles et trop changeants pour soutenir longtemps le poids de l’amitié ; l’antiquité en a fourni des exemples ; mais dans le temps où nous vivons, on peut dire qu’il est encore moins impossible de trouver un véritable amour qu’une véritable amitié[4].
XIX. — de la retraite*.
Je m’engagerois à un trop long discours si je rapportois ici, en particulier, toutes les raisons naturelles qui portent les vieilles gens à se retirer du commerce du monde : le changement de leur humeur, de leur figure, et l’affoiblissement des organes, les conduisent insensiblement, comme la plupart des autres animaux, à s’éloigner de la fréquentation de leurs semblables. L’orgueil, qui est inséparable de l’amour-propre[5], leur tient alors
- ↑ Rapprochez de la maxime 179.
- ↑ « Plus égal… ; elle ne pardonne rien. » (Édition de M. de Barthélemy.) — On a vu que, dans la 2e des Réflexions diverses (note 2 de la page 284), l’auteur est plus indulgent.
- ↑ « L’honneur. » (Édition de M. de Barthélemy.)
- ↑ C’est la maxime 473. Voyez aussi la 19e des Réflexions diverses.
- ↑ Ici, comme presque toujours, l’auteur prend ce mot dans le sens d’amour de soi. Voyez p. 121, note 5.