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SUR LA ROCHEFOUCAULD

et du Cardinal, faisait sonner bien haut ses services, et Mazarin, de son côté, avait pour maxime que la politique doit primer la reconnaissance. Obligé de rentrer à Paris, mais plein d’appréhension pour sa sûreté, l’adroit ministre travaille sans relâche à diviser les Frondeurs ; il s’efforce principalement de rendre Condé odieux au peuple, en le faisant passer pour l’auteur de tous les maux que le peuple a soufferts. Ses menées réussissent et la lutte s’engage vivement. Suspect en haut, impopulaire en bas, Monsieur le Prince se trouve pris, pour ainsi dire, entre l’enclume et le marteau. Impatient de sortir de cette situation intolérable, il s’imagine qu’il suffit de « faire peur » au Cardinal pour le dominer[1]. Il ne cesse dès lors de le heurter, de le desservir auprès de la Reine, ou d’exercer contre lui cet amer esprit de raillerie qui lui était naturel. Les occasions, à vrai dire, ne manquaient pas à sa vengeance. Mme de Longueville, sa sœur, n’était plus cette femme, presque uniquement occupée de coquetterie et d’intrigues galantes, qui naguère regardait derrière un rideau le duel de Guise et de Coligny ; elle était maintenant pleine d’ambition, ferme et résolue. Ce changement n’était-il dû qu’à l’influence de Marcillac ? Il est permis d’en douter ; tout au plus a-t-il contribué à mettre la belle duchesse dans le chemin de sa vocation. Mais, après avoir avivé le feu de son ambition naturelle, il eût été fort embarrassé de lui communiquer, par surcroît, cette fermeté politique qu’il ne posséda jamais lui-même. Mazarin ne s’y trompait pas ; il redoutait plus la duchesse que ses frères et surtout que la Rochefoucauld. Ce dernier ne laissait pas toutefois de se donner du mouvement : il est, à ce moment, l’intermédiaire par lequel s’entament les négociations des Frondeurs avec le duc d’Orléans. Toute cette agitation ne tarde pas à produire son effet. Condé, qui ne veut pas rester isolé entre la cour et la Fronde, se réconcilie avec les siens « et même avec Marcillac ; » mais, huit jours après, il se ravise, et croit plus conforme à ses intérêts de revenir vers le Cardinal. Que fait alors celui-ci ? Il entre habilement dans les vues de Monsieur le Prince, et, afin d’exciter de plus en plus ses prétentions, il feint d’avoir peur. La cour décide que désormais

  1. Mémoires, p. 145.