384 APPENDICE. nonce si judicieusement sur des matières qu’il avoit si parfaitement connues. Pour ce qui est de l’ouvrage, c’est, à mon sens, la plus belle et la plus utile pliilosophie qui se fit jamais; c’est l’abrégé de tout ce qu’il y a de sage et de bon ’ dans toutes les anciennes et nouvelles sectes des pbilosopbes, et quiconque saura bien cet écrit n’a plus besoin de lire Senèque, ni Epictète, ni Montaigne, ni Charron, ni tout ce qu’on a ramassé, depuis peu, de la morale des sceptiques et des épicuriens*. On apprend véritablement à se connoître dans ces livres, mais c’est pour en devenir plus superbe et plus amateur de soi-tnème; celui-ci nous fait connoître, mais c’est pour nous mépriser et pour nous humilier; c’est pour nous donner de la défiance, et nous mettre sur nos gardes contre nous-mêmes et contre toutes les choses qui nous touchent et nous environnent ; c’est pour nous donner du dégoût de toutes les choses du monde, et nous en détacher, nous tourner du côté de Dieu^, qui seul est bon, juste, immuable, et digne d’être aimé, honoré, et servi. On pourroit dire que le chrétien commence où votre philosophe finit ■*, et l’on ne pourroit faire une instruction plus propre à un catéchumène, pour convertir à Dieu son esprit et sa volonté; et cela me fait souvenir d’une excellente comparaison, que j’ai autrefois lue dans une épitrc de Sénèque^ : C’est une chose bien étrange, dit-il, de considérer un enfant, pendant les neuf mois qu’il demeure dans le ventre de sa mère, avant que de venir au monde : il a des yeux, et ne voit point ; il a des oreilles, et il n’en- tend point ; il ne sait ce qu’il doit devenir ; il n’a aucune connois- sance de la vie en laquelle il doit entrer. Que si cet enfant pouvoit raisonner, n’est-il pas vrai qu’il jugeroit bien que toutes ces facultés et tous ces organes ne lui sont pas donnés en vain par la nature? que puisqu’il a une bouche, il ne doit pas prendre la nourriture comme une plante? que puisqu’il a des pieds, des mains et des bras, il n’est , qui dans la i "^ édition (i665) portent les numéros log et IIO; dès la 2^(1666), la Rochefoucauld, en les modifiant, a fait disjjaraître le mot tour.
. Ou avait d’abord écrit : de sage et de bon sens; puis on a effacé sens, pour
y substituer goust , qu’on a ensuite également effacé. . Cousin n’a pas tenu compte de la seconde correction, et donne : « de sage et de bon goût. » . Voyez ci-dessus, p. 38o, note 2. . V. Cousin donne a tort : « .... et en nous en détachant, nous tourner du côté du bien. » Il omet par suite et logiquement les deux adjectifs bon, juste, qui en effet ne sauraient être employés pour qualifier ie mot bien, . tt que les chrétiens commencent oii otre philosophie unit. » (V. Cousin.) . A partir de cette phrase, V. Cousin supprime deux pages du manuscrit, jusqu’à : a quand il n’y auroit que son écrit au monde » (p. 386, ligne 9). . Cette comparaison de l’enfant dans le sein de sa mère revient plusieurs fois dans les Epîtres de Sénèque. Mais ce passage nous renvoie sans doute à la ccii’^, à la fin de laquelle l’idée est développée longuement et de la façon la plus brilljBte.