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Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/534

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398 APPENDICE. Nous devons quelque chose aux coutumes des lieux où nous vivons, pour ne pas choquer la révérence publique, quoique ces coutumes soient mauvaises; mais nous ne leur devons que de l’apparence : il faut les en payer et se bien garder de les approuver dans son cœur, de peur d’offenser la raison universelle , qui les condamne. Et puis, comme une vérité ne va jamais seule, il arrive aussi qu’une erreur en attire beaucoup d’autres’. Sur ce principe qu’on doit souhaiter d’être heureux, les honneurs, la beauté, la valeur, l’esprit, les ri- chesses, et la vertu même, tout cela n’est à désirer que pour se rendre la vie agréable*. 11 est à remarquer qu’on ne voit rien de pur ni de sincère, qu’il y sl du bien et du mal en toutes les choses de la vie’, qu’il faut les prendre et les dispenser à notre usage*, que le bonheur de l’un seroit souvent le malheur de l’autre, et que la vertu fuit l’excès comme le défaut. Peut-être qu’Aristide et Socrate n’étoient que trop vertueux, et qu’Alcibiade et Phcdon ne l’étoient pas assez; mais je ne sais si, pour vivre content et comme un honnête homme du monde , il ne vaudroit pas mieux être Alcibiade et Phédon qu’Aristide ou Socrate. Quantité de choses sont nécessaires pour être heureux, mais une seule suffit pour être à plaindre; et ce sont les plaisirs de l’esprit et du corps qui rendent la vie douce et plai- sante, comme les douleurs de l’un et de l’autre la font trouver dure et fâcheuse. Le plus heureux homme du monde n’a jamais tous ces plaisirs à souhait. Les plus grands de l’esprit, autant que j’en puis juger, c’est la véritable gloire et les belles connoissances, et je prends garde que ces gens-là ne les ont que bien peu, qui s’attachent beau- coup aux plaisirs du corps. Je trouve aussi que ces plaisirs sensuels sont grossiers, sujets au dégoût, et pas trop à rechercher, à moins que ceux de l’esprit ne s’y mêlent. Le plus sensible est celui de l’amour; mais il passe bien vite si l’esprit n’est de la partie. Et comme les plaisirs de l’esprit surpassent de bien loin ceux du corps, il me semble aussi que les extrêmes douleurs corporelles sont beaucoup plus in- supportables que celles de l’esprit . Je vois de plus que ce qui sert d’un côté nuit d’un autre; que le plaisir fait souvent naître la dou- leur, comme la douleur cause le plaisir®, et que notre félicité dépend assez de la fortune, et plus encore de notre conduite ’. «  I. Voyez la maxime 23o, et la 7 des Réflexions diverses. a. Rapprochez de la maxime 2l3. . Voyez la maxime 32. — 4- Voyez la maxime 892. . Faut-il rappeler que la Rochefoucauld souffrait cruellement de la goutte, dont il est mort ? — Voyez, ci-après, VOde de Mme des Houlières. . Rapprochez de la maxime 5 19. . Les maximes de fauteur (passim