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SUR LA ROCHEFOUCAULD

Nous voilà de plus en plus loin des débuts de l’illustre duchesse. Si la Rochefoucauld a donné le premier coup de fouet à cette nature audacieuse et remuante, il n’a pas gardé bride en main pour la retenir ou l’exciter à son gré ; naguère, en 1650, quand il signait à Bourg son accommodement, la fière princesse demeurait à Stenay, inexpugnable ; à présent, tandis que Monsieur le Prince lui-même hésite à jeter le gant une seconde fois, tandis que nous le voyons quitter, un moment, Paris pour se retirer à Saint-Maur, puis revenir anxieux de Saint-Maur à Paris, c’est sa sœur qui, prenant toute l’initiative, précipite les choses ; c’est elle qui répète, envers et contre tous, le cri forcené des Ligueurs dans la Satire Ménippée : Guerra ! Guerra ! Ni Bouillon, ni la Rochefoucauld, qui, selon le mot de Matha rapporté par Retz[1], « faisoit tous les matins une brouillerie, et… tous les soirs travailloit à un rabiennement (raccommodement), » ne sont à la hauteur de cette constance féminine, bien que le même Retz nous parle encore (juillet 1651) du « pouvoir absolu » que le duc avait sur l’esprit de Mme de Longueville[2]. Les Mémoires de ce dernier contiennent, à cette occasion, un passage fort remarquable, l’empli de philosophie et de vérité, et où plus d’une maxime se trouve en germe. Bouillon et lui, nous dit-il, « venoient d’éprouver à combien de peines et de difficultés insurmontables on s’expose pour soutenir une guerre civile contre la présence du Roi ; ils savoient de quelle infidélité de ses amis on est menacé lorsque la cour y attache des récompenses et qu’elle fournit le prétexte de rentrer dans son devoir ; ils connoissoient la foiblesse des Espagnols, combien vaines et trompeuses sont leurs promesses, et que leur vrai intérêt n’étoit pas que Monsieur le Prince ou le Cardinal se rendît maître des affaires, mais seulement de fomenter le désordre entre eux pour se prévaloir de nos divisions[3]. » Pour un homme qui avait déjà traité avec l’Espagne, et qui devait bientôt se rendre coupable de récidive, c’était montrer beaucoup de sagesse dans le raisonnement pour en mettre ensuite bien peu dans les actes : l’histoire est pleine de ces contradictions.

  1. Mémoires de Retz, tome III, p. 361.
  2. Ibidem, p. 360.
  3. Mémoires, p. 239 et 260.