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SUR LA ROCHEFOUCAULD

lions du galant duc de Nemours. Quelle fut la part respective de la politique et de la coquetterie en ces relations, d’ailleurs fort courtes, que la sœur de Condé eut avec Nemours, à Bordeaux, après le départ de la Rochefoucauld[1] ? Ce point délicat, que V. Cousin s’est obstiné à vouloir fixer, importe peu, après tout, à la postérité et à l’histoire. Il est certain que les apparences tout au moins condamnent Mme  de Longueville : les contemporains ont pu blâmer la Rochefoucauld de n’avoir pas su pardonner ; ils n’ont pas dit que sa rigueur méritât le nom d’injustice[2].

Toujours est-il que le duc, cruellement atteint dans son amour-propre, saisit avidement l’occasion de se venger : ce fut, en somme, une vilenie ; mais, comme dit Mme  de Sévigné, a-t-on gagé d’être parfait[3] ? ajoutons, surtout en amour ? que de gens perdraient la gageure ! On imagina un complot, où l’ancien amant de Mme  de Longueville jouait un rôle qu’on ne peut guère expliquer qu’au moyen de circonlocutions euphémiques ; il servit d’intermédiaire officieux entre les trois personnages suivants : Mme  de Châtillon, désireuse et fière de conquérir le camp de Condé ; Condé, impatient de capituler aux mains de la dame ; et Nemours, qui, bien que partie sacrifiée dans l’affaire, consentit cependant à cette triple alliance politique[4]. Mais cette stratégie n’eut pas l’effet qu’on en attendait : la Rochefoucauld en fut pour son entremise, le duc de Nemours pour sa complaisance ambitieuse, et le prince de Condé

  1. Voyez les Mémoires de Retz, tome IV, p. 5.
  2. On remarquera que Mme  de Sablé, pour ne citer qu’elle, demeura jusqu’au bout l’amie de la Rochefoucauld, bien qu’elle fût aussi, et de plus ancienne date, celle de Mme  de Longueville : l’eût-elle fait si tous les torts, dans la rupture, avaient été, à ses yeux, du côté de l’amant ? La Fronde, du reste, n’est point une époque de constance en amour ; dans les mobiles engagements et les frivoles commerces d’alors, les stations étaient en général moins longues et les étapes plus courtes que sur la fameuse carte de Tendre ; on passait rapidement sur bien des points d’arrêt théorique, et les hameaux de légèreté et d’oubli, les districts d’abandon et de perfidie n’étaient pas les moins fréquentés du pays.
  3. Lettres, tome VIII, p. 481.
  4. Mémoires, p. 390-392.