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NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

nérale et le discrédit. Des héros de la veille, les uns se sont aussitôt rangés aux côtés du monarque, les autres, les plus compromis, ont d’abord reçu l’ordre d’ailler dans leurs terres, et les esprits comme les temps sont si bien changés, que ces mêmes seigneurs qui naguère, au moindre froissement d’amour-propre, pensaient punir le pouvoir en se retirant avec hauteur dans leurs gouvernements ou leurs fiefs, se regardent à présent comme trop punis d’y rester ; aussi ont-ils hâte d’être pardonnes, de revenir à la source des faveurs, de quêter un regard du maître, de se trouver, dit le fabuliste,

… Au coucher, au lever, à ces heures
Que l’on sait être les meilleures[1].

Le prince de Condé est rentré en France depuis deux ans ; il a désavoué le passé devant le Roi, qui lui a fait bon accueil, se bornant à lui dire fièrement : « Mon cousin, après les grands services que vous avez rendus à ma couronne, je n’ai garde de me ressouvenir d’un mal qui n’a apporté du dommage qu’à vous-même[2]. » Monsieur le Prince n’a plus cette morgue hautaine et ce ton de raillerie blessant qui avaient rebuté jadis jusqu’à ses amis les plus chauds. Il s’efface devant le Roi et les ministres ; au Conseil, où son rang lui donne place, c’est à peine s’il émet une opinion, et surtout s’il ose la soutenir, à moins de la savoir approuvée[3].

  1. La Fontaine, livre VII, fable xii : l’Homme qui court après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit, vers 39 et 40.
  2. Histoire de Louis de Bourbon, prince de Condé, par Pierre Coste, dans les Archives curieuses de l’Histoire de France, 2e série, tome VIII, p. 250, — Cette histoire, imprimée, pour la première fois, à Amsterdam, en 1692, est suivie d’une série de portraits des hauts personnages du temps.
  3. La duchesse de Chàtillon, une ancienne amie des mauvais jours, lui ayant reproché mie fois de ne pas tenir son rang, il lui répondit : « Madame, je n’ignore pas ce que vous venez de me représenter, et assurément je n’ai pas besoin qu’on m’invite à faire valoir l’autorité qui est due à ma naissance ; j’y serois assez porté de moi-même, si le Roi étoit moins jaloux de son pouvoir et moins heureux qu’il n’est ; mais aussi, Madame, si vous connoissiez son humeur comme je la connois, vous me parleriez d’une autre manière que vous ne faites. » (Pierre Coste, ibidem, p. 251.)