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Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/94

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NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

aigreurs et de ses injustices contre les hommes et les choses. C’est sous l’influence salutaire de cette douce et sereine amie que le moraliste chagrin apporte à ses maximes tous ces correctifs qui se trouvent dans l’édition de 1672 et surtout dans celle de 1678, et qui atténuent un peu la malveillance première de l’ouvrage. Il est même probable que, si l’intime liaison avait commencé dix années plus tôt, le livre de la Rochefoucauld eût été autre qu’il n’est ; mais peut-être, après tout, si la vérité y eût gagné, bien des lecteurs, plus amis du piquant que du vrai, y eussent-ils perdu. En même temps que, devenu plus satisfait de lui et du prochain, le duc émousse la pointe de quelques sentences, il s’efforce de faire disparaître de son œuvre, composée d’abord pour les femmes et les ruelles, certaines traces de préciosité et de mauvais goût. Malgré ce travail de correction, qui dura en réalité jusqu’à la mort de l’auteur, le livre garda néanmoins dans sa concision quelque chose de subtil et çà et là d’elliptique qui rebutait parfois Mme de Sévigué, cet esprit vif et clair avant tout, plein d’abondance et de suc. En 1672, elle écrivait à sa fille, en lui adressant un exemplaire de la nouvelle édition des Maximes : « Il y en a de divines ; et, à ma honte, il y en a que je n’entends point[1]. » À coup sûr, c’était le cœur de la marquise, bien plus encore que son esprit, qui se refusait à comprendre.

Entre Mme de la Fayette et la Rochefoucauld il n’y avait pas seulement une alliance de cœur, il y avait aussi accord d’esprit et entente intellectuelle. Tous deux réagissent en littérature contre l’ampleur diffuse de bon nombre d’écrivains de leur temps et du temps immédiatement antérieur ; tous deux appartiennent à cette école qui

D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir[2],


    l’esprit et de la politesse à Mme de la Fayette ; mais Mme de a Fayette régla son cœur. » Dans l’édition de 1722 on a sauté, dans le premier de ces deux endroits, de et il, et construit ainsi « Mme de la Fayette, disoit M. de la Rochefoucauld, m’a donné de l’esprit, etc. » La faute est évidente ; le second passage la corrige.

  1. Lettre du 20 janvier 1672, tome II, p. 472.
  2. Boileau, l’Art poétique, chant I, vers 133.