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SUR LA ROCHEFOUCAULD

et donna l’exemple de la sobriété et de la précision. La première œuvre de Mme de la Fayette avait été, on le sait, la Princesse de Montpensier, petite nouvelle qui, publiée en 1660, sous le nom de Segrais, avait eu un très-grand succès. En 1670 parut Zayde, qui, bien que tenant encore par les développements romanesques à l’école raffinée des d’Urfé et des Scudéry, avait néanmoins le mérite de mieux rentrer dans la vraisemblance et de substituer le langage naturel au style ampoulé. La Rochefoucauld est manifestement intervenu par sa critique, ses conseils, de détail au moins, dans la rédaction de ce livre[1]. Mais c’est principalement dans la Princesse de Clèves, terminée en 1672, et publiée en 1678, que la collaboration du duc se révèle[2]. Ce roman n’est déjà plus romanesque à la manière dont on l’entendait alors ; la passion vraie y a pris la place de l’amour précieux, et a mis en déroute cette légion de mourants par métaphore, dont se moquait Boileau[3]. Cette fois le cadre et le style de l’ouvrage ont la forme historique ; l’analyse délicate et fine des mouvements du cœur, le ton vrai du récit et toute l’allure des personnages feraient croire parfois qu’il s’agit d’une histoire réelle. Qui ne reconnaîtrait l’inspiration et comme le coup de plume de la Rochefoucauld, d’abord, pour une bonne part, dans cet exposé éloquent des intrigues de cour, puis dans ces pensées et maximes qui toujours interviennent à propos, et, par-dessus tout, dans

  1. On en trouve la preuve dans un feuillet de son écriture, portant une retouche d’un passage du roman de Zayde, que nous avons reproduite au tome III, p. 10, à la fin de la Notice sur les Lettres.
  2. « M. de la Rochefoucauld et Mme de la Fayette ont fait un roman des galanteries de la cour de Henri second, qu’on dit être admirablement écrit. Ils ne sont pas en âge de faire autre chose ensemble. » (Lettre de Mlle de Scudéry à Bussy, du 8 décembre 1677, tome III, p. 43o, de l’édition de M. Lalanne.) — « Cet hiver, un de mes amis m’écrivit que M. de la Rochefoucauld et Mme de la Fayette nous alloient donner quelque chose de fort joli ; et je vois bien que c’est la Princesse de Clèves dont il vouloit parler. » (Lettre de Bussy à Mme de Sévigné, du 22 mars 1678, tome V des Lettres de celle-ci, p. 429.)
  3. Satire, vers 264.