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proue, à cause de l’écume qui jaillissait de tous côtés, à cause des bourrasques, des brumes glaciales et des tourmentes de neige, le tout accompagné d’un froid terrible. Alors Fridthjof grimpa sur le mat ; quand il fut redescendu, il dit à ses compagnons : « J’ai observé quelque chose de bien étrange. Une grande baleine est couchée en cercle autour du bateau ; j’en conclus que nous nous sommes approchés quelque peu de la terre ferme et que ce monstre veut nous empêcher d’aborder. Je soupçonne le roi Helgi de ne pas se comporter amicalement à notre égard ; il ne nous aura pas envoyé un présent bien aimable. Sur le dos de la baleine j’aperçois deux femmes ; celles-ci auront suscité cette tempête de malheur par leurs exécrables sorcelleries et leurs paroles magiques[1]. Nous allons donc expérimenter qui des deux l’emportera, notre bonheur[2] ou leurs sortilèges. Vous pousserez le bateau avec toute la vigueur possible, pendant que j’assaillirai à coups de gourdins ces êtres malfaisants ». Et il dit cette strophe :

15. « Sur les vagues j’aperçois
deux enchanteresses ;

  1. D’après des croyances superstitieuses très anciennes, les sorcières avaient le pouvoir de susciter des tempêtes et d’apparaître sous la forme d’une baleine aux abords du bateau quelles voulaient perdre. Ici, les deux magiciennes, qui exerçaient d’abord leurs sortilèges sur le rivage (fin du ch. V), tout en demeurant sur la terre ferme, en vertu de leur don d’ubiquité, s’approchent d’Ellidi sur le dos d’une baleine.
  2. En isl. hamingja, qui désigne proprement un être individuel, l’âme humaine revêtant après la mort l’enveloppe (hamr) d’un animal. C’est l’esprit accompagnateur, persécuteur ou tutélaire (cf. fylgja), selon les opérations auxquelles il se livre. Dans ce passage, ce terme semble signifier tout simplement « le bonheur » en lutte avec une influence malfaisante.