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LA SOCIÉTÉ NOUVELLE

un bien : elle réveillerait les énergies, hausserait les courages, redresserait les caractères avilis dans la mollesse de la paix. S’entre-haïr de nation, peut-être de classe à classe, telle est, sinon leur morale, du moins leur espérance !

À ceux qui ont subi les abominations de la guerre, pareille idée semble monstrueuse ; néanmoins, en faisant un effort d’intelligence, on peut comprendre la part de sentiment moral qui se trouve au fond de ce paradoxe. La guerre est une épreuve, et comme telle, vaut mieux, ou du moins entraîne moins de malheurs qu’un état d’avachissement. On peut en réchapper, tandis que l’inaction mène fatalement à la mort. Oui, l’épreuve est nécessaire : toute force doit se tremper avant de passer à l’œuvre définitive ; mais est-ce au hasard qu’il faut procéder à ces essais, ou bien doit-on le faire avec science et méthode ? À cet égard, les peuples dits sauvages, aussi bien que les Grecs, les plus civilisés des hommes d’autrefois, nous donnent un enseignement. Les jeunes gens n’entraient dans la vie des égaux et n’étaient considérés comme aptes à fonder une famille, à exercer leurs droits de citoyens, qu’après avoir donné des preuves de leur adresse, de leur vigueur, de leur courage et de leur endurance. Nul ne les forçait ; ils étaient parfaitement libres d’échapper au redoutable essai, et cependant pas un seul ne prenait ce parti, qui eût fait son déshonneur. L’attente de l’opinion était trop intense pour qu’un seul individu désirât se soustraire aux expériences qui devaient le mettre au nombre des hommes. Chez la plupart des peuplades primitives, les héros volontaires, filles et garçons, se soumettaient aux peines les plus atroces, à de véritables tortures : ils souffraient de la faim et de la soif pendant plusieurs jours, se livraient aux morsures brûlantes des fourmis, se fustigeaient mutuellement, subissaient des mutilations affreuses, sans un cri, sans une plainte. C’est avec le regard clair et la bouche souriante qu’ils se présentaient devant leurs juges : l’avenir était à ce prix.

Ce n’est pas sous cette forme grossière que nous nous imaginons les épreuves futures des jeunes gens à leur entrée dans la vie des hommes faits, mais il nous semble dériver de la nature humaine que dans la période de la sève montante, de force en excès et d’amour éperdu, les adolescents se révèlent dans tout leur éclat par des actes de force, de sacrifice, de dévouement. Que le sentiment public les encourage et nulle action ne leur paraîtra trop haute pour leur bonne volonté. Qu’on fasse appel au sentiment de leur dignité et tous répondront. Pendant la guerre américaine, les jeunes filles du collège d’Oberlin dirent aux jeunes hommes : « Partez, allez combattre ! », et les onze cents étudiants partirent, pas un seul ne resta. Que ne pourrait-on faire de ces forces prodigieuses soulevées par l’enthou-