Page:La Vie littéraire, I.djvu/112

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des lecteurs, ce n’est pas pour avoir jeté par le monde, avec une éloquence enchanteresse, un sentiment nouveau d’amour et de pitié, mêlé aux idées les plus fausses et les plus funestes que jamais homme ait eues sur la nature et sur la société ; ce n’est pas pour avoir écrit le plus beau des romans d’amour ; ce n’est pas pour avoir fait jaillir des sources nouvelles de poésie, c’est pour avoir peint sa pitoyable existence, c’est pour avoir raconté ce qui lui advint en ce triste monde depuis le temps où il n’était qu’un jeune vagabond, vicieux, voleur, ingrat et pourtant sensible à la beauté des choses, rempli de l’amour sacré de la nature, jusqu’au jour où son âme inquiète sombra dans la folie noire. On n’ouvre plus guère l’Émile et la Nouvelle Héloïse. On lira toujours les Confessions.

De Chateaubriand aussi, on ne lit guère qu’un seul livre : celui où il s’est raconté, les Mémoires d’outre-tombe. Il s’était peint dans tous ses livres, dans le René des Natchez et dans celui d’Amélie, dans l’Eudore des Martyrs et jusque dans le Dernier des Abencérages. Du fond de la magnifique solitude de son génie, il ne vit jamais rien en ce monde que lui-même et son cortège de femmes. Pourtant nous préférons le livre où il se peint je ne dis pas sans apprêt, mais sans déguisement, avec un orgueil que l’ironie tempère, une sorte de bonhomie hautaine et un ennui profond qui s’amuse pourtant du jeu brillant des mots ; enfin les Mémoires. Pour lui comme