Page:La Vie littéraire, II.djvu/184

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Orgueilleux ! cruel ! insensé ! lui répondait madame de Sabran, qui s’en tenait à la morale des deux pigeons.

Elle avait raison. Mais il y avait dans les raisons du chevalier une fierté, une noblesse qu’on admire surtout quand on songe qu’il tint parole ; que, dans les trois années qu’il passa en Afrique, il fit preuve des qualités les plus sérieuses, et signala son gouvernement par des actes d’énergie, de sagesse et de bonté. C’était un homme excellent. « La base de son caractère, dit le prince de Ligne, qui l’avait beaucoup connu, est une bonté sans mesure. Il ne saurait supporter l’idée d’un être souffrant. Il se priverait de pain pour nourrir même un méchant, surtout son ennemi. Ce pauvre méchant ! disait-il. »

Il fut combattu, dans son gouvernement, par un de ces pauvres méchants, dont il eût pu briser d’un trait de plume la carrière et la destinée. Malgré sa colère, il ne voulut pas frapper cet homme. « Quand je pense, disait-il, que je ne puis me venger qu’avec une massue, tout mon ressentiment s’apaise. »

Son journal du Sénégal témoigne autant de son bon cœur que de son joli esprit. Pendant la traversée, il écrivait à madame de Sabran :

« J’aime, au milieu de mon inaction et de l’assoupissement de toutes mes passions violentes, à tourner mes pensées vers cette maison si chère, à t’y voir au milieu de tes occupations et de tes délassements, écrivant, peignant, lisant, dormant, rangeant et dérangeant tout, te démêlant des grandes affaires, t’inquiétant des