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Page:La Ville de Mirmont - La Mort de Sancho, paru dans Le Quotidien du 4 septembre 1927.djvu/7

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temps voulu. Sa fille fit un bon mariage. Sa femme perdit toute ombre de jalousie. Seul, son âne trompa son amitié, car il fut trouvé mort un matin dans l’écurie. Les historiens ont négligé de rapporter le nom de ce personnage muet. Sans doute suffisait-il, pour la postérité, qu’il fût « l’âne de Sancho ». Mais son maître, qui le pleura, ne put jamais le remplacer. Le successeur qu’il lui donna secouait les oreilles, comme pour écarter les mouches, dès qu’on lui parlait sérieusement.

Lorsque Sancho Panza fut devenu âgé, il abandonna la charrue pour ne plus quitter sa demeure. Il plaça un banc de bois devant la porte, sur la grand’route, et se fit une occupation de regarder passer les hommes, les bêtes et les voitures. Sa corpulence ressemblait à de la majesté. En discourant il se trompait de mots et souvent oubliait de terminer ses phrases. Mais, vu ses cheveux blancs, chacun l’écoutait avec respect.

Il se souvint alors ― non sans en tirer vanité ― qu’il avait gouverné une île, jadis, il ne savait plus où.

Une nuit d’été, le chant des grillons le tint longtemps les yeux ouverts. Il sortit sur le seuil. La lune dépassait les arbres. D’un éclat jaune, elle brillait, écornée comme l’arme de Mambrin.