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DE LA LANGUE BRETONNE.

à Morlaix, soit à Paris, où des imprimeurs bretons dévoués à leur langue maternelle, mettaient avec enthousiasme leurs presses au service de la renaissance intellectuelle et nationale. Les religieux eux-mêmes, comme l’attestent les livres bretons imprimés à Morlaix, au couvent de Cuburien, ne voulaient pas rester en dehors du mouvement général et luttaient avec la presse, afin de réagir contre les efforts tentés par les moines gallos, pour leur imposer la langue française et abolir celle qu’ils parlaient. D’un autre côté, les habitants de quelques villes de Basse-Bretagne, et notamment de Brest, s’obstinaient, nous l’avons dit, à n’être pas Français [1] ; et ceux de certaines paroisses rurales, voyant que leurs recteurs, malgré les statuts de la province, ignoraient la langue bretonne, refusaient de leur payer la dime qu’ils ne leur devaient qu’à ce prix [2].

Mais bientôt (1577) allait naître, dans un château de l’évêché de Léon, au centre même du breton attique, l’homme illustre qui devait étendre et diriger le mouvement national. Ce que fit, à l’aide de cette langue, pendant plus d’un demi-siècle, pour la civilisation bretonne, Michel Le Nobletz de Kerodern, le dernier apôtre de l’Armorique, est vraiment prodigieux. Riche et d’une ancienne famille noble du pays, il commença par distribuer son bien aux pauvres, aux veuves, aux orphelins et aux malades, pour être dégagé de tout lien terrestre et agir plus sûrement sur la multitude. Puis, le bâton à la main, il allait par les villes^ les bourgades et les villages de Basse-Bretagne, ou bien il passait en bateau dans les îles voisines des côtes, prêchant, instruisant les petits et les grands, recevant les confidences des cœurs malheureux ou coupables, et rendant le peuple meilleur en le consolant. Sa manière de parler était très-propre à produire un grand effet. Il se servait, dit son biographe, d’une grande simplicité de discours, et des termes les plus communs et les plus intelligibles ; il tirait ses paraboles et ses comparaisons de l’art ou de la profession de chacun de ceux à qui il s’adressait. Il employait souvent certains proverbes, certaines images, certaines expressions vulgaires, pour faire plus d’impression sur la mémoire et l’imagination de ceux qu’il prêchait. Non content de prêcher, il appela la poésie à l’aide de son apostolat national. Il composa des chants religieux qui instruisaient les plus simples d’une manière aussi utile qu’agréable [3]. D’abord traditionnels, comme tous ceux que savait le peuple, il les écrivit plus tard et en fit faire des milliers de copies, pour les distribuer à ses disciples [4]. Ce fut une des pieuses industries qui lui réussirent le mieux ; par ses chants, il sanctifia les boutiques des marchands et des artisans, le travail des laboureurs et les barques des matelots et des pêcheurs [5]. Ils devinrent si populaires, qu’on n’entendait autre chose à la campagne, parmi les cultivateurs et les pâtres, dans les maisons, parmi ceux qui travaillaient ensemble à faire des filets, et sur la mer parmi les mariniers y ils étaient si goûtés, qu’on voyait accourir une

  1. Voyez plus haut, p. xxxviij.
  2. Arrêt de l’an 1565, contre le recteur du bourg de Paul-Muzillac, maistre Jean Guicho. (Sauvageau. L. I. ch. 204.)
  3. Vie de Michel Le Noblelz, p. 286.
  4. Ibid. p. 351.
  5. Ibid. p. 350.