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DE LA LANGUE BRETONNE.

autrement qu’on n’écrivait, et que l’auteur laissait au lecteur à faire les permutations des lettres. De là à la seconde innovation importante du xvi siècle, savoir, l’indication dans la langue écrite des changements de consonnes en usage dans la langue parlée, il n’y avait qu’un pas ; aussi la voyons-nous tentée, quoique timidement et seulement pour quelques verbes, par les écrivains du xvie siècle [1]. Giles de Kerampuil, à la fin de cette époque, fut plus hardi, il employa à la fois les deux manières, ancienne et nouvelle, d’écrire [2], et trouva, au commencement du xviie siècle, dans Ives Le Baelec et Guillaume Quicquier, des imitateurs qui allèrent encore plus loin [3]. Mais, en 1650, la vieille méthode est tout à fait détrônée : le P. Maunoir lui porta les derniers coups. « Il semble qu’il est à propos, dit-il, de changer la façon ancienne des escrivains bretons, pour escrire le langage armorique… Les anciens Bretons ne mettoient point les lettres dans lesquelles les mutes estoient changées, mais escrivoient toujours le mot comme il se trouve au dictionnaire ; cela fait qu’il est impossible aux apprentifs de cette langue de lire les anciens livrées bretons ; » et, citant plusieurs expressions bretonnes [4], il poursuit : « Quel est celui qui pourra lire les mots escrits ainsi à l’ancienne mode ? N’esl-il pas à propos d’escrire comme on prononce [5] ? » Il s’autorise en cela d’une opinion nouvelle eu France : « Les François depuis peu, fait-il observer, ont trouvé cette façon d’escrire fort propre. » Il eût pu s’appuyer, avec plus d’autorité, sur l’usage récent des Bretons-Gallois ; et, plutôt que de donner des règles incomplètes de permutation, reproduire les leurs ; mais, au fond, il avait raison, quant à ce premier chef : l’écriture est la peinture de la voix ; plus elle est ressemblante, meilleure elle est ; quant à la suppression des consonnes au milieu ou à la fin des mots, pour adoucir la prononciation, c’est fort différent. Le P. Maunoir étant né dans la partie française de la Bretagne, et le français sa langue maternelle, ces signes étrangers pouvaient le choquer et lui paraître durs à l’oreille ; ils choquaient aussi Giles de Kerampuil, « nourry, comme il nous l’apprend lui-même, entre Françzoiz et aultres nacions », et qui plie les lecteurs de l’excuser, « s’il ne sçait orner le langage breton, w Mais ces signes n’avaient rien d’extraordinaire pour les Armoricains : ils leur étaient familiers, et d’ailleurs nécessaires : ils imposaient au mot l’empreinte de sa signification primitive ; ils montraient son origine et sa va-

  1. Les auteurs des mystères de Ste Barbe et de St Gwénolé écrivent, comme aujourd’hui, mé a rai, je ferai, pour mé a grai ou a gourai, forme primitive. Da glasq (sic), à chercher, pour da klask ; da zisquif (sic), à instruire, pour da diski ; da gomps, à parler, pour da komps ; né hallez, tu ne peux, pour né gallez, etc.
  2. Il écrit an drâ, la chose, et, en marge, an trâ (fol. 8). A drà, de la chose, et, en marge, a trâ (fol. 13). A ra, il fait, et a gra (fol. 2, 3, 12). A réomp, nous faisons, et a gréomp (fol. 16). Na ret, vous ne faites, et na graet (f. 22). A ri, tu feras, et a gri (fol. 8), etc.
  3. On le voit clairement, quand on compare les morceaux communs à ces auteurs et à G. de Kerampuil. Ainsi, dans le Credo, ce dernier écrit encore, sans permutations, mé a cred en Doué, an tat holl-galloudec, crouer d’an efo ha d’an douar, hag en J.-C. hé map… Zo bézet laquaet d’an marvEz deùi da barn an ré bév hag an ré marv((. Ives Le Baelec, au contraire, suit déjà presque la manière moderne : mé a cred é Doué an tad oll-galloudec, croueur d’an en ha d’an douar, hac t. J.-C. hé vab… Zo bel léqueat d’An maro… é deùi dabarn ar réôco ha^ ar ré maro (p. 19). Pour que toutes les permutations fussent faites, il eût dû écrire : me a cRÉD… oll-c’HALLOuDEK… ÉTEÛi davARN ar ré véô hag ar ré varô. C’est ainsi qu’écrit, en 1712, l’auteur de Ar VohezGristen. (p. 7)
  4. Da bézaff ; ma tat, etc.
  5. C’est-à-dire, Da véza ; ma zat, etc. (p. 1.)