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LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

Figurez-vous que je regrette Cécilia et les restaurants de nuit. Eh ! oui, je m’ennuie ; je voudrais revoir Lucien, Gaston, tous les gommeux et les crevés que j’ai connus et qui m’appelaient « la Crotte ». Je m’ennuie !

Dieu, que les journées sont longues ! Et les nuits ! Je me sens molle et lâche et je cherche à peine une occupation ; rien ne vient. Il n’y a personne à Paris ; il faut attendre la rentrée, et j’attends. Et je m’ennuie. Le matin, je fais la grasse matinée, je m’étire dans mon lit et je bâille ; ou bien je me promène nue, en chemise et en pantoufles, histoire de tuer le temps. Parfois, je m’amuse à enflammer une demi-douzaine de peintres qui barbouillent depuis trois semaines une immense maison, en face de l’hôtel. Je soulève un coin du rideau et je leur laisse apercevoir un bout d’épaule, un profil de gorge moulé sous la dentelle de la chemise, et je ris de les voir, le nez en l’air, comme des chiens attendant une femelle.

Les premiers jours de liberté m’avaient grisée et je me levais à l’aube, pour me ballader dans les rues et les jardins, avec cette idée épatante que je pouvais aller partout où bon me semblait sans demander de permission à