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LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

qui a trop dormi et il déplia sa serviette.

Moi, je m’étais levée respectueusement, et j’attendais qu’il me fît signe de m’asseoir. Alors la duchesse sembla faire un effort, et, timidement :

— Mon ami, je vous présente Mlle Juliette Audéoud, la nouvelle gouvernante.

Il me regarda avec des yeux atones.

— Ah ! bien, bien, bonjour.

Les valets glissaient derrière nous sans bruit, comme des ombres. La duchesse touchait à peine aux plats ; quant aux garçons, ils paraissaient gênés par la présence de leur père. Lui, le vilain ogre, il dévorait gloutonnement. La table pliait sous l’abondance des mets.

Les plats de zakouskis se succédaient, interminables ; puis les viandes, dix sortes de viandes, d’énormes gigots, des rôtis fantastiques, des oies, des dindes, du gibier. Il mangeait de tout comme s’il fût resté quinze jours sans nourriture ; à chaque instant, il engloutissait un vaste verre de bière et il faisait claquer sa langue d’un air satisfait.

La sauce lui dégoulinait sur la barbe ; il plongeait ses gros doigts velus dans son as-