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LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

siette, faisait craquer les os sous ses dents de fauve et remuait les yeux à droite et à gauche comme s’il eût craint qu’on veuille lui enlever les plats.

Moi, écœurée, je ne pouvais avaler quoi que ce soit et je regardais à la dérobée la duchesse qui chipotait un morceau de gigot sur son assiette. La pauvre femme, je crois bien qu’elle se disait tout comme moi : Dieu, quel cochon !

Quand il fut un peu rassasié, le grand-duc daigna me regarder. Les valets changeaient le service et leurs mains agiles débarrassaient la table. Un silence pénible emplissait la pièce où régnait l’odeur de la nourriture et des alcools. Le grand-duc parlait français avec un rude accent slave. Sa voix dure me fit tressaillir.

— D’où êtes-vous, me demanda-t-il brusquement.

— De Ferney, Monseigneur.

— Ah ! de Ferney… et que fait votre père ?

— Mon père est mort, Monseigneur.

— Et votre mère ?

— Elle est morte aussi, Monseigneur.

— Ah !