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Page:La chanson de Roland - traduction 1911.djvu/105

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Il ne peut se retenir de pleurer et de se lamenter,
Et prie Dieu de sauvegarder leurs âmes.
Le Roi est las, et sa peine est amère.
N’en pouvant plus, il finit par s’endormir.
À travers tous les prés, les Français dorment.
Pas un cheval qui puisse tenir sur les jambes ;
Celui qui veut de l’herbe la broute étendu.
Qui connait la douleur a beaucoup appris !


CLXXXVIII

Charles dort comme un homme travaillé d’angoisses.
Dieu lui envoie saint Gabriel,
Et lui ordonne de veiller l’Empereur.
L’ange passe à son chevet toute la nuit.
Dans un songe, il lui annonce
Qu’une grande bataille lui sera livrée.
Il lui fait voir des signes très sinistres :
Charles rêve, les yeux vers le ciel,
Il y voit les tonnerres, les gelées, les vents,
Les orages, les terribles tempêtes,
Les feux et les flammes toutes prêtes.
Soudain, tout s’abat sur son armée.
Les lances de frêne et de pommier s’enflamment.
Et les écus, jusqu’aux boucles d’or pur.
Le fût des épieux tranchants vole en éclats.
Les hauberts et les heaumes d’acier grincent.
Il voit ses chevaliers en grande douleur.
Fuis, des loups et des léopards les veulent dévorer,
Des serpents, des guivres, des dragons, des monstres de l’enfer.
Et plus de trente mille griffons,
Qui, tous, se ruent sur les Français.
Ceux-ci s’écrient : « Charlemagne, à l’aide ! »
Le Roi en a grande douleur et grand pitié.
Il veut y aller, mais il se sent retenu :
D’une forêt, un grand lion vient au-devant de lui,
Un lion terrible, orgueilleux, redoutable.
Il attaque la personne même de l’Empereur.