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Page:La chanson de Roland - traduction 1911.djvu/136

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Qui eût pu voir ces écus maltraités,
Qui entendrait frémir ces blancs hauberts
Et ces heaumes grincer contre ces boucliers,
Qui eût vu choir tous ces chevaliers.
Les hommes hurler et mourir la face contre terre,
Garderait le souvenir d’une grande douleur.
Cette bataille est rude à supporter.
L’Émir invoque Apollon
Et Tervagant, et aussi Mahomet :
« Dieux ! mes Seigneurs, je vous ai bien servis ;
Je veux faire d’or fin toutes vos statues ;
Daignez me protéger contre Charles. »
Voici devant lui un sien ami : Gémalfin ;
Il lui apporte de mauvaises nouvelles, et dit :
« Sire Baligant, vous êtes aujourd’hui mal partagé ;
Vous avez perdu votre fils Malprime,
Et Canabeu, votre frère, est tué.
Ce succès échut à deux Français :
L’Empereur, je pense, est l’un d’eux,
Son corps est grand, il a l’air d’un marquis,
Sa barbe est blanche ainsi que fleur d’avril. »
L’Émir baisse son heaume
Et laisse tomber sa tête sur sa poitrine.
Il a si grand deuil qu’il pense mourir sur-le-champ.
Il appelle Jangleu d’outre-mer.


CCLVII

L’Émir dit : « Avancez, Jangleu.
Vous êtes brave et votre savoir est immense ;
J’ai suivi vos conseils en toutes circonstances.
Que vous semble-t-il des Arabes et des Français,
Aurons-nous la victoire dans la bataille ? »
Et lui répond : « Baligant, vous êtes mort.
Vos dieux ne vous sauveront point.
Charles est fier, ses hommes sont vaillants :
Je n’ai jamais vu race si batailleuse.
Cependant appelez les barons d’Occiant,