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Page:La chanson de Roland - traduction 1911.djvu/59

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LA BATAILLE ENGAGÉE

XCV

Le neveu de Marsile, qui a nom Aelroth,
Tout le premier chevauche devant l’ost.
Il tient sur nos Français de mauvais propos :
« Félons français, vous allez aujourd’hui vous battre contre les nôtres.
Qui devait vous défendre vous a trahis.
Fol est le Roi qui vous laissa aux défilés :
France la douce y perdra toute sa gloire
Et Charlemagne le bras droit de son corps. »
Quand Roland l’ouït, Dieu ! quelle peine il en ressent !
Il pique son cheval et le lance bride abattue.
Le comte frappe du plus rude coup qu’il peut frapper.
Il lui fracasse l’écu et lui démaille son haubert,
Lui tranche la poitrine et lui brise les os,
Lui sépare toute l’échine du dos,
Et, avec sa lance, jette l’âme hors du corps.
Il le pousse si rudement qu’il le fait chanceler
Et, qu’à pleine lance, il l’abat mort de son cheval
Après lui avoir brisé le cou en deux morceaux.
Pourtant, il ne s’abstiendra pas de lui parler :
« Va donc, maraud, Charles n’est pas fou,
Et il n’aima jamais la trahison.
Il a agi en preux en nous laissant aux défilés.
Et la France aujourd’hui ne perdra pas sa gloire.
Frappez, Français, le premier coup est nôtre.
Nous avons le bon droit, mais ces gloutons ont tort. »