se prodiguer, se multiplier, être la Providence de ceux qui souffrent, l’espoir de ceux qui n’ont plus d’espoir : c’était beau, cela !
Fort bien. Mais aurais-je la somme de dévouement qu’exige la pratique de cet art quasi-divin ? Serais-je toujours disposé à répondre à la sonnette de nuit ?
Non. L’enseignement était plus dans mes goûts. Une bien noble carrière aussi, d’ailleurs ! Faire la chasse à l’ignorance, dompter la routine, foudroyer le préjugé, être le rayon qui fait éclore cette fleur : la science ; le sculpteur qui pétrit cette argile : l’enfant ; le créateur qui construit ce monde : l’avenir ! C’était beau, cela aussi.
Assurément. Mais ne serais-je pas rebuté par les rocs et les crocs, qui se dressent partout sur cette voie ? Et je me souvenais d’un mien pauvre vieux professeur, dans la tabatière duquel nous vidâmes un jour une salière de poivre !
Le théâtre offrait plus d’attraits. Être l’idole de toute une ville, être inondé de fleurs, accablé de bravos, courtisé des belles et décoré par les Grévy de l’avenir. C’était plus beau encore !
Oui, mais les acteurs que l’on siffle !
Et ceux que les directeurs exploitent !
Et ceux qui flambent dans les incendies de théâtre !…
Comme j’en étais là de mes réflexions, mon regard tomba fortuitement sur un tome de Pantagruel, entr’ouvert sur un coin de ma table de travail.
Machinalement j’en lus quelques lignes. Puis je les relus. Et comme je lisais, je sentais à chaque page, à chaque phrase une sorte d’aube étrange se lever au fond de mon âme.
Les mots tintinnabulaient dans mon cerveau, avec une toute joyeuse et toute mignarde folâtrerie. Je croyais ouïr les cloches de Panurge : « Mariez-vous donc ! mariez-vous ne ! » Et je humais célestement la délicieuse, rieuse, pieuse et sacro-sainte ambroisie enclose en ces mirifiques feuillets. Tant et tant qu’à la parfin, extatique et ravi, la tête tout emburelucoquée des horrifiques mystères et des éblouissantes joyeusetés du titanique et gaillard curé de Meudon, je devins forclos de tout pensement autre, et que hormis ce merveilleux tintinnabulement, je n’entendis plus rien, rien, rien !
Tout soudain, comme je tournais le cinquante-septième feuillet du quart livre (il était jà le deuxième tiers de la médianoche), une apparence de fantôme se dressa du côté du ponent, aucunement semblable à celui que vit Brutus ès champs pharsaliques, mais bien plutôt au jovial lutin que mon atave paternel aperçut en sa caquerolière de Bourseplale la veille du trépas de sa concierge. Le compère esprit fit deux pas en avant, posa sa dextre sur mon front et dit :
— Tes fortes fièvres quartaines, mon pauvre fillot ! J’ai connu et