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PAUVRE PETITE ZORA
NOUVELLE ALGÉRIENNE

Nous sommes en Afrique, sur le territoire de Lalia-Maghnia, dans la province d’Oran. Ce matin, le siroco ne soufflait pas, nous avons quitté le bordj pour faire une excursion dans la montagne, vers les sources de la Maouya ; nous arrivons aux palmiers.

Qu’ils sont beaux, les palmiers de la Maouya ! ils apparaissent de loin comme un abri hospitalier, dans le désert qui les environne, ils furent plantés par Dieu, groupés comme les membres d’une même famille ou comme les tentes d’un douar ; et depuis de longs siècles les générations successives viennent se rafraîchir sous leur immortelle verdure. Les deux plus grands sont au milieu : il y a l’homme et la femme. Ils balancent dans l’air leurs grandes têtes majestueuses, puis ils se penchent amoureusement l’un vers l’autre et se donnent des baisers. Pour ces nobles vieillards, l’amour est toujours le même, toujours brillant, impétueux, plein de délices, comme au temps de la jeunesse. Le vent, en soufflant dans leurs branches, murmure des sons étranges, mélodieux, doux comme des soupirs ; « c’est l’âme des palmiers qui parle », disent les habitants du désert…

Asseyons-nous à l’ombre, sous les palmiers. Le soleil marche tranquillement et inonde l’espace de sa lumière éclatante et de sa brûlante chaleur. Devant nous, l’horizon est vide, pas d’arbre, pas de verdure ; de loin en loin seulement, un caroubier au feuillage maigre ou quelques lentisques rabougris ; les plateaux arides descendent par gradins jusqu’au Maroc, où la voûte bleue du ciel va s’appuyer sur les plaines grises. À notre droite une montagne s’élève solitaire sur les plateaux, avec ses flancs boisés. Au pied de cette montagne, dans ce lieu maintenant désert, j’ai vu, il y a peu d’années, des douars composés de nombreuses tentes, que leurs propriétaires nomades ont depuis transportées ailleurs. Là, se sont passés une idylle et un drame. C’est une histoire bien triste dont, moi qui vous parle, j’ai connu tous les acteurs.

Zora était la fille de Sidi-Abd-el-Kader, un youad (noble) chef de tribu ou au moins chef de douar, personnage riche et puissant parmi les Arabes ; Ahmed était fils de Mohamed, pauvre chevrier mort au service de Sidi-Abd-el-Kader.

C’étaient deux jeunes enfants ; le petit garçon avait deux ans à peine de plus que la petite fille. Dans leur innocence, ils s’inquiétaient bien