Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LA STATUE DE BALZAC

Les haines littéraires — telles ces plantes vénéneuses que trahissent leurs odeurs — ont de très caractéristique qu’elles ne peuvent se dissimuler. Il est, toutefois, juste de remarquer qu’elles se gardent à l’ordinaire de toute hypocrisie, se montrent plutôt, les dents serrées de rage aiguë. Mais des motifs spéciaux leur commanderaient-ils de se contraindre qu’elles se révéleraient de mille involontaires façons, dans l’abandon d’une épithète ou le veule des phrases, jusque dans l’incohérence de l’éloge, comme ces rivalités féminines des salons que témoignent des compliments vagues ou discordants faits distraitement, les yeux ailleurs. Un exemple typique de ce fort banal phénomène de psychologie artistique vient, en ces derniers temps, de nous être fourni par les organisateurs du comité chargé d’élever une statue à Balzac. Et peut-être sera-t-il de quelque intérêt d’observer le faire de la haine littéraire en cette démonstrative occurrence, même alors qu’on n’apprécierait pas le devoir strict qui s’impose à nous de la dénoncer.

Ainsi, c’est la queue romantique et la tourbe feuilletoniste, les baladins de l’art pour l’art et les épiciers du tant la ligne ; ceux-là qui ont ignoré, le considérant comme un vulgaire confrère, Balzac vivant ; ceux-là qui, dans le surnumérariat de son immortalité, l’ont dédaigné mort ; tous ceux justement qui, durant la mêlée artistique de la seconde partie du siècle, ont été du camp ennemi ou, pour le moins, de l’armée d’observation des neutres, ce sont ceux-là, et ceux-là seuls, qui ont pris l’initiative de l’hommage à rendre ! D’où si invraisemblable revirement, si anormale conversion ? Faut-il admettre que ces myopes aient été surpris d’une catalepsie d’alouettes à regarder de trop près le fascinant miroir de la Comédie humaine ? Ou doit-ou soupçonner que leur critique aura été influencée par la persistance et l’agrandissement de l’autorité du maître, par la veillée des armes que fait, sous l’invocation de son œuvre, toute la conscription artistique ? Ceci serait plus vraisemblable, surtout si, après avoir constaté cette salutation au succès,