Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

POÈMES TRISTES

I
REMEMBER !

Vieux flacon serti d’or, ma main religieuse
Fit tourner le bouchon d’agate précieuse
Dans ton col de cristal :
Une plainte vibra, languissante et voilée ;
Ce fut comme une voix de naguère, exhalée
En un souffle vital.

Une odeur bien connue, et très subtile, et pleine
De souvenirs, jaillit, tiède, comme une haleine
De ceux qui ne sont plus ;
Comme, — aliment mystique à nos mélancolies ! —
Un posthume soupir de choses abolies
Et de temps révolus !

Décembre 1883.

II
À LA DÉDAIGNÉE
*

Comme Athènè du front de Zeus, ô Muse altière
Qu’évoque notre amour jamais rassasié,
Déesse, tu naquis du front extasié
D’un Aède, charmeur de l’inerte matière. —

Or, tu fus faite ainsi : le Poète pieux,
Ouvrant sur l’Infini son œil visionnaire,
Fit flamboyer au ciel son Rêve radieux ;
Puis, immortalisant cet Être imaginaire,
À jamais le figea dans l’essence des dieux.