Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lente déchéance morale, à ses révoltes d’honnêteté, à ses chimériques espérances de gloire, puis à son plongeon en pleine fange, où bientôt il barbote avec des frétillements satisfaits. Enfin, — au moment où ses amis apprennent qu’il vit aux dépens de Floflo, devenue la maîtresse du vicomte Yves de Karmeck, diplomate opportuniste, — il part brusquement pour de lointaines provinces où il épousera une héritière.

Le livre de M. Caraguel est surtout une « étude de milieux ». Chaque épisode de la vie d’Octave se profile sur une toile de fond où l’auteur a brossé un des aspects du Quartier Latin.

La déambulation des vadrouilles, l’antagonisme des michelins et des étudiants-province, l’empilement des soucoupes sur le marbre des brasseries, le tumulte des cercles où s’élucubrent les poèmes, le lançage des filles, les rixes avec les sergots et avec les souteneurs, les promenades au Luxembourg, les harangues érotico-philosophiques, les discours politiques clamés dans une langue dont le pittoresque indignerait M. Brisson, les théories et les amours du michelin Tralala, les soûleries à Bullier, — mettent dans ce livre leurs bruits, leur mouvement, leurs froufrous et leurs hoquets.

Les maîtres du roman contemporain s’interdisent rigoureusement tout portrait de leurs personnages : ceux-ci doivent se déterminer par eux-mêmes, petit à petit, à mesure et au fur de leur intervention dans l’intrigue ; si bien qu’à la fin du roman, les comparses sont encore à l’état de vagues ébauches, tandis que les premiers rôles se détachent en pleine lumière ; l’œuvre acquiert de la sorte une perspective, — une profondeur, au sens pictural du mot. M. Caraguel n’a pas voulu suivre sur ce point l’excellente méthode naturaliste, et il a accroché à ses chapitres une série de médaillons : — Rossignol, Juan Pedro Lucasa, Lestapy, William Forster, Prochot, Doumerc, Jordan, — très nuancés et d’une singulière intensité de rendu.

Robuste, sincère et savant, parfois pas assez spontané, le style de M. Caraguel a d’admirables qualités descriptives.

Ce livre documentaire restera. (Paris, Ollendorf, éditeur.)

L’Évolution naturaliste (Paris, 1884, Tresse, éditeur) est évidemment le premier livre de bonne foi écrit sur la littérature de cette fin de siècle. C’est de la critique vivante, intelligente, faite par un homme qui — ô stupéfaction — a lu les ouvrages dont il parle. Très renseigné au point de vue biographique, très sagace dans l’étude littéraire, M. Louis Desprez pénètre jusqu’au fond et au tréfond du génie de Flaubert, des Goncourt, de Zola. Puis il scrute l’œuvre des poètes Catulle Mendès, Leconte de Lisle, Paul Verlaine, Baudelaire, Banville, Armand Silvestre, Soulary, Fabre des Essarts, Sully-Prudhomme, Coppée, Richepin, Rollinat, Paul Bourget, Guy de Maupassant. Enfin une magistrale étude sur le Naturalisme au Théâtre clôt le volume… M. Desprez a fort rigoureusement indiqué l’évolution dans la Poésie et au Théâtre. Mais les pages consacrées au Roman sont d’une méthode moins scientifique, l’auteur ayant tracé ses excellentes monographies de Gustave Flaubert, des Goncourt, d’Émile Zola et de Daudet en négligeant les romanciers qui gravitent autour de ceux-là ou qui les relient.