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M. Desprez aurait dû se rappeler le principe du transformisme : la Nature ne fait pas de saut. La Littérature non plus, — surtout pour un critique qui met le mot Évolution sur le front de son œuvre.

Écrit dans une langue un peu molle, gâté d’ailleurs par l’invraisemblance d’une intrigue à coups de théâtre, le nouveau roman d’Edm. Lepelletier — l’Amant de cœur (Paris, 1884, Tresse, éditeur) — renferme d’excellentes parties d’observation et des descriptions très bien traitées. L’auteur n’a pas ménagé les indiscrétions : parmi les personnages sympathiques, on reconnaîtra facilement Édouard Detaille et le baron de Vaux. Du reste, voici le sujet :

Armand Laurin, calicot à bonnes fortunes, devient l’« amant de cœur » de Gladia, une pschutteuse de haut vol, maîtresse de Fritz Mulheim d’Anvers. Mais bientôt, lâché par Gladia, insulté par Fritz, congédié par les Grands Magasins des Tuileries, furieux, il assène à deux heures du matin, place de l’Opéra, un coup de poing américain sur le crâne de Fritz. Pincé. Palais de justice. Il va être condamné, lorsqu’une petite cousine amoureuse, dédaignée autrefois, surgit et — en une folie de sacrifice, — déclare que l’accusé a passé chez elle la nuit du crime. Laurin est acquitté. Enamouré encore, désorienté, sans ressources et désormais sans but, il enjambe le parapet d’un pont, lorsque Popau, une baladeuse nocturne, l’arrête, l’emmène et l’associe à son métier. Les derniers mots du livre sont tragiques : « Et quand, la bougie soufflée, Popau étreignit Armand, elle ne put s’empêcher de lui demander : — Te trouves-tu bien, dis, petit homme ? Est-ce que tu n’es pas mieux couché là chaudement que dans cette sale limonade où tu voulais te plaquer tantôt ?… L’amant de cœur ne répondit rien. Il se sentait noyé quand même, et peut-être éprouvait-il alors, étendu sur ce drap public, la nostalgie des dalles de la Morgue. »

La comédie féerique — Riquet à la Houppe — que vient de faire paraître Th. de Banville a pour acteurs Riquet, la princesse Rose, Clair de Lune, Luciole, les fées Diamant et Cyprine, Zinzolin, les princes d’Aragon et de Maroc, le roi d’Illyrie, qui, spirituels et lyriques, dialoguent en une poésie semblable aux

farouches rosiers
Qui, fous, extravagants, flambants, extasiés
,
envahissent le palais et les parcs du roi Myrtil.

Le portrait de la princesse Rose « dont le front gracieux comme un astre étincelle », a été gravé en tête du volume par Méaulle, d’après le dessin de Georges Rochegrosse (Paris, 1884. Charpentier, éditeur).

Dans Kerkadek, Léon Cladel conte la simple et poignante histoire d’un garde-barrière républicain qui, après avoir donné à une compagnie de chemins de fer vingt-cinq ans d’âpre travail en échange de quatre-vingt-sept francs mensuels, est broyé par un train en sauvant un nouveau-né abandonné sur les rails.

Clovis Hugues a écrit la préface de Kerkadek.