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Et lui, les bras croisés d’une sorte fière,
Les yeux au ciel où le feu monte en léchant,
Il dit tout bas une espèce de prière
Qui va mourir dans l’allégresse du chant !

Il dit tout bas une espèce de prière,
Les yeux au ciel où le feu monte en léchant…
Quand retentit un affreux coup de tonnerre,
Et c’est la fin de l’allégresse et du chant !

On n’avait pas agréé le sacrifice,
Quelqu’un de fort et de juste, assurément,
Sans peine avait su démêler la malice
Et l’artifice en un orgueil qui se ment.

Et du palais aux cent tours aucun vestige,
Rien ne resta dans ce désastre inouï,
Afin que, par le plus effrayant prodige,
Ceci ne fût qu’un vain songe évanoui…

Et c’est la nuit, la nuit bleue aux mille étoiles.
Une campagne évangélique s’étend,
Sévère et douce, et, vagues comme des voiles,
Les branches d’arbre ont l’air d’ailes s’agitant ;

De froids ruisseaux courent sur un lit de pierre.
Les doux hiboux nagent vaguement dans l’air
Tout embaumé de mystère et de prière ;
Parfois un flot qui saute lance un éclair ;

La forme molle au loin monte des collines
Comme un amour, encore mal défini,
Et le brouillard qui s’essore des ravines
Semble un effort vers quelque but réuni ;

Et tout cela, comme un cœur et comme une âme,
Et comme un Verbe, et d’un amour virginal,
Adore, s’ouvre en une extase et réclame
Le Dieu clément qui nous gardera du mal !

PAUL VERLAINE.