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— Tiens !… Tiens !… le conscrit qui veut faire la leçon aux anciens, interrompit railleusement Lambert.

— Nullement, mon cher collègue, reprit Aubin : mais vous m’avez suffisamment lardé pour que j’aie quelque velléité de vous égratigner un peu ; et vous avez perdu le droit de vous fâcher. Depuis mon arrivée vous tirez un joli feu d’artifice à mes dépens. Le bouquet sera mon œuvre, et la galerie jugera s’il est bien réussi. Rira bien qui rira le dernier. — Je ne vous prends pas en traître : vous voilà prévenu. Gare les chausses-trappes !… Veillez !…

— Bravo ! s’écrièrent en riant les autres professeurs présents à la déclaration. Bravo ! un duel à la Scie ; cela promet d’être drôle.

— Bravo ! répéta Lambert avec eux. J’accepte le combat sur ce terrain. J’ajoute même que si le conscrit réussit à me faire avaler la moindre couleuvre, je m’engage à offrir ce jour là le champagne à la fin du dîner.

— J’en prends acte, riposta Aubin ; et je vous promets d’en boire gaiement ma part à votre santé.

III

Le 1er avril, à 10 heures, à la sortie de la classe du matin, le concierge remit à Lambert une lettre à son adresse.

Celui-ci, ne reconnaissant pas l’écriture de son correspondant, examina d’où elle pouvait lui venir. Elle portait au départ le timbre de la poste du chef-lieu de l’Académie.

Il se décida enfin à ouvrir l’enveloppe, et lut ce qui suit :

« ***, ce 31 mars 186…
« Mon cher collègue,

« Je n’ai point l’avantage de vous connaître, et je vous suis sans doute inconnu. Je m’adresse cependant à vous qui occupez la première chaire de votre collège, car je suis persuadé que vous ne refuserez pas de rendre un léger service à un collègue qui, de son côté, se met tout entier à votre disposition, au cas où vous auriez besoin de lui.

« Voici ce dont il s’agit : je termine en ce moment une édition des fables de La Fontaine à l’usage des lycées et des collèges, et je viens d’apprendre qu’une dame de votre ville, Mme Dupont, 56, Grand’rue, possède quatre fables manuscrites de notre immortel fabuliste ; mais j’ignore lesquelles. Voudriez-vous avoir l’obligeance de demander à cette dame la permission de prendre pour moi une copie des manuscrits, en ayant soin de conserver exactement l’orthographe et la ponctuation de l’auteur. Plus tôt vous le ferez, plus vous m’obligerez, car une partie de mon travail est déjà à l’impression,