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Ces pièces venaient à leur heure et entraînaient des masses de spectateurs sans cesse renouvelés. Dans les bals publics et privés, riches ou prolétaires, les archets et les cuivres reprenaient frénétiquement les principaux motifs de danse ; leur seule audition mettait au coin des bouches une sorte de rire nerveux et prêtait aux membres des gestes équivoques. On voulait le plaisir, il n’était plus, et on tentait de le recréer avec du bruit, du mouvement et de l’insanité. Composé de ces trois éléments, l’opéra-bouffe de cette époque est né, a été accueilli avec enthousiasme et a eu un succès prodigieux.

Aujourd’hui l’opéra-bouffe a vécu : on le dit, on le répète, et je le crois. Serions-nous devenus plus sérieux ? En tout cas notre caractère et nos goûts se sont profondément modifiés. Cela se constate chaque jour, cela se manifeste à chaque instant davantage. Après la guerre de 1870-71, les principales pièces bouffes à succès ont été reprises. Les directeurs de théâtre n’auraient eu garde d’y manquer. Nous avons pu assister à ces reprises aux Variétés, à la Renaissance, voire à la Gaîté, ou une direction avait réuni un orchestre sérieux, la plupart des anciens interprètes, et fait de grands frais de décors et de costumes. Le public y est allé, peu, très peu, et voici ce qui s’est passé : La folie était sur la scène et y restait. La salle, absolument calme et de sang-froid, regardait avec étonnement les personnages se démener sans raison et débiter des extravagances sans suite. On eût dit des spectateurs assistant à la reconstitution d’une pièce très antique, ayant appartenu autrefois à une civilisation, à un théâtre disparus.

Un effet à peu près analogue se produit pour le nouveau Vertigo de M. Hervé ; il se produira pour toutes les pièces de cet acabit, si même on n’arrive pas, à bref délai, à des chutes immédiates. Je parle ici de la pièce bouffe et non de l’opérette à livret raisonnable, comportant une action dramatique suivie. L’opérette diffère à peine de l’opéra-comique par des tours mélodiques d’un goût spécial et l’emploi exagéré des travestis et des voix de femme, mais elle se distingue essentiellement de la pièce bouffe par le genre et la valeur du poème. Prenons, si vous voulez, l’un des types de l’opérette : la Fille de madame Angot, et supprimons-en la musique, il reste une comédie vivante, amusante, une intrigue suffisamment ourdie, du sentiment, de la passion ; ôtons sa musique au Vertigo, l’un des chefs-d’œuvre du genre bouffe (il est difficile d’aller plus loin), il ne restera rien, absolument rien, ayant forme de pièce.

La musique, très nombreuse, est en général bien écrite et d’une certaine valeur. Mais, là encore, le chaos voulu, la confusion de tous les styles et de tous les genres ; le grand-opéra y coudoie le café-concert, et les Rameaux, de M. Faure, arrangés avec chœur, sont très étonnés de tenir compagnie à la légende de Capricorno. Ce parti pris