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confections de la rue de Rivoli. Elle venait chaque matin rendre l’ouvrage terminé la veille et en emportait du nouveau pour sa journée. Ses yeux pétillaient de plaisir quand elle regagnait son logis, ployant sous une lourde charge, preuve que le travail allait bien. J’étais tout réjoui moi-même de voir son bonheur ; je n’aurais pas voulu lui parler, mais je la saluais de loin par un sourire qu’elle me rendait, comprenant que je lui voulais du bien.

Un matin je la vis toute triste et les mains vides. Je la saluai plus affectueusement que d’habitude. Elle avait des larmes dans les yeux ; je lui demandai la cause de son chagrin. Elle ne parut point surprise de ce que je lui parlais ainsi dans la rue ; par mon âge, j’aurais pu être presque son père ; elle me répondit avec franchise et simplicité. Depuis quelque temps l’ouvrage devenait rare, et l’on venait de lui dire à l’instant dans son magasin qu’il n’y en avait plus du tout pour le moment, qu’on la priait de ne pas repasser avant huit jours ! Huit jours ! C’était bien long : elle habitait avec sa vieille grand’mère infirme ; son salaire suffisait pour toutes deux, mais elles n’avaient pas d’économies, et comment feraient-elles, si le chômage allait se continuer au delà des huit jours annoncés ?

Je lui dis que j’avais des amis dans différents magasins et que je comptais pouvoir lui procurer du travail. La pauvre enfant ne douta pas de ma parole et sécha ses pleurs ; elle me fit connaître son nom, Louise, et m’indiqua la maison où elle demeurait. En la quittant je me rendis dans un magasin et je pris des mesures pour que dès le jour même de l’ouvrage lui fût envoyé, et pour que cet ouvrage fût raisonnablement rémunéré et ne lui manquât jamais dans l’avenir.

XV

Quelque temps après je rencontrai Louise portant un fardeau plus pesant que jamais ; elle accourut toute joyeuse vers moi, elle ne savait comment me remercier ; sa grand’mère désirait ardemment me connaître et me suppliait d’aller leur faire une visite ma journée terminée, dès que je serais libre.

Cédant aux instances de la jeune fille, je promis, et un soir je me rendis dans l’humble maison. La bonne vieille femme m’accueillit en me bénissant comme un sauveur : grâce à moi le travail ne manquait plus et était beaucoup plus productif que par le passé ; et, partant, l’aisance entrait à la maison ; sa pauvre petite Louise allait pouvoir s’acheter de bons vêtements pour l’hiver. Louise surtout était heureuse et fière de me recevoir chez elle ; elle fut familière tout de suite et me dit l’opinion qu’elle s’était formée sur moi. Elle avait deviné depuis longtemps que, malgré ma tenue un peu négligée, je n’étais point le