Page:La révolution de 1848- Première année 1904-1905.djvu/193

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fondation avait été autorisée par elle-même en 1783. En 1790, Alexandre Raditchev (1749-1802), l’un des premiers idéologues martyrs russes, publia un ouvrage : Voyage de Pétersbourg à Moscou, où il dépeignait la misère des paysans, la corruption des fonctionnaires, l’ignorance des masses et réclamait l’émancipation des serfs. L’auteur fut condamné à mort pour avoir écrit un livre probe et courageux, un livre que le censeur avait, d’ailleurs, revêtu de sa signature. Il est vrai qu’il ne l’avait pas lu. Catherine, qui avait voulu cette condamnation, commua la peine en dix années d’exil en Sibérie [1].

On observe la même tactique en 1848. Saltykov dont je viens de parler, est exilé à Viatka où il reste sept ans, pour un innocent essai littéraire. Pétrachevsky [2], Dostoïevsky et leurs camarades sont condamnés à mort : on les amène sur le lieu du supplice, on leur fait revêtir la toilette de mort, on brise les épées au-dessus de leurs têtes et on leur annonce que la peine de mort est commuée en travaux forcés en Sibérie. Toute cette Affaire Pétrachevsky est rattachée à la Révolution de 1848. On lit dans Ma Défense [3] de Dostoïevsky : « On m’accuse d’avoir parlé chez Pétrachevsky de la dernière révolution en France… Trente-six millions d’hommes mettent sur une carte tout leur avenir, leurs biens, leur existence et celle de leurs enfants. Ce tableau n’est-il pas fait pour éveiller l’attention, l’intérêt, la curiosité ? N’est-il pas fait pour émouvoir profondément l’âme ? Il s’agit du pays qui nous a donné la science, l’instruction, la civilisation européenne. Un tel spectacle est une leçon ! Enfin, c’est là de l’histoire, et l’histoire est la science qui a pour objet l’avenir… Suis-je coupable, parce que j’envisage d’une façon sérieuse la crise qui déchire la malheureuse France, parce que j’admets que cette crise historique est un état passager, mais inévitable dans la vie de ce peuple et qui le mène à un meilleur avenir ?… »

  1. Gracié sous le règne d’Alexandre Ier, Raditchev présenta à l’empereur un projet de code civil qui commence ainsi : « La tolérance et la liberté de conscience doivent être absolues. » Voyant l’insuccès de ses efforts et menacé d’un nouvel exil, Raditchev finit par se suicider.
  2. Le 29 avril 1849, la police arrêta à Saint-Pétersbourg un groupe de vingt-trois jeunes révolutionnaires — parmi lesquels se trouvait Dostoïevsky — réunis chez l’un d’eux, Pétrachevsky.
  3. Écrite en juin 1849 dans la forteresse de Pierre-et-Paul. Voy. notre étude sur Dostoïevsky. in Revue Socialiste, janvier 1904.