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fin de roman

— Non. J’ai eu assez de misère ici. Je n’en aurai certainement pas plus ailleurs. Alors, j’aime mieux changer. Vous savez que mon mari est parti ?

— Non, je l’ignorais. Pour où est-il parti ?

— Vous pensez ben qu’il ne me l’a pas dit. Il est parti. Sûr qu’il ne nous a pas fait ses adieux avant de s’en aller. Il en avait assez de nous autres et il a sacré son camp sans même nous laisser une piastre. Heureusement que j’ai pu vendre nos quelques meubles.

— C’est bien triste, mais chacun doit porter sa croix, fit sentencieusement l’homme.

— Ben, j’aimerais mieux la porter en automobile qu’à pieds, riposta la femme.

Comme l’appareil télégraphique se faisait soudain entendre, l’opérateur courut écouter les signaux qu’on lui envoyait.

Juste à ce moment, le bébé se mit à pleurer.

— Tiens, Luce, prends cet argent et va chercher une bouteille de kik, fit la mère en mettant quelques sous dans la main de sa fille.

Et Luce, gamine de quatorze ans, s’en fut au restaurant voisin de la gare et revint avec la liqueur demandée. Tout de suite, la femme remplit le biberon de la petite qui braillait et lui donna la tétine. Goulûment, l’enfant se mit à boire. La bouteille passa ensuite de bouche en bouche, chaque membre de la famille en prenant une gorgée.

Comme la chaleur diminuait dans la pièce, la femme, comme si elle eût été chez elle, saisit la chaudière remplie de charbon et la versa dans la fournaise.

— Je m’imagine voir la tête que fera votre tante en nous voyant arriver, ricana la mère. Elle ne nous mettra