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fin de roman

L’avant-dernier de la famille était né sans peau. Sa chair était comme de la gelée. Il n’avait vécu que quelques minutes.

Du plus lointain de ses jeunes ans, elle se rappelait les continuelles et violentes disputes entre ses parents, les plus basses injures lancées réciproquement, parfois des coups.

Leur maison c’était une vieille remise que le père, charpentier, avait tant bien que mal convertie en habitation. Ce bâtiment sis à l’arrière des autres constructions de la rue, n’avait d’ouvertures que sur la façade. À côté, était ce qu’on aurait pu appeler le parc aux chiens, car il y avait toujours là une troupe de sept à huit chiens se disputant les faveurs d’une chienne et aboyant et jappant furieusement pendant des heures et des heures. Un jour, le maire du village en avait fait abattre six. En plus, il y avait une espèce de dépotoir où les habitants d’une petite rue voisine déposaient les cendres de leurs fournaises, les bouteilles, les boîtes de conserves vides, les os, les ferrailles et quelque matelas pourri et éventré qui perdait sa laine. Et tout près, il y avait des touffes d’herbe à la puce. Un été, toute la famille avait été infectée par ces plantes vénéneuses. Ah ! oui, une belle villa la demeure des Botiron !

Lorsque les enfants criaient qu’ils avaient faim, et la faim régnait éternellement dans cette maison, la mère leur répondait par la vieille rimette :

Si t’as faim
mange ta main,
garde l’autre pour demain,
mange ton pied,
garde l’autre pour danser.

Mais cela n’enlevait pas la faim qui grondait.