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fin de roman

C’est dans cette maison que Luce avait mangé de l’ananas pour la première fois. Cela elle ne l’oublierait jamais, car elle avait trouvé ce fruit délicieux au possible.

Et chaque jour, elle se gavait de bonnes choses.

— Mais tu n’as donc jamais mangé avant de venir ici ? interrogeait parfois Mme Perron.

— C’est meilleur que partout ailleurs, répondait Luce, la bouche pleine.

Cette réponse flattait Mme Perron.

Parfois, après le départ de l’artiste de la radio, Mme Perron s’adressait à la jeune fille lui demandait :

— Tu n’aimerais pas ça, toi, avoir un petit ami ?

— Je ne connais personne, répondait Luce.

— Ça viendra, ma fille, et cela te causera peut-être bien des tourments.

Pour le présent, elle était satisfaite de bien manger, contente de manger à sa faim. Ça, c’est quelque chose qui compte, surtout quand on a été privé.

Puis elle reconnaissait que sa maîtresse était une bonne pâte de femme, pas exigeante, familière. Luce l’aimait bien.

À la seconde visite de la mère Botiron, Mme Perron remarqua : « Mais elle ne te laisse donc jamais un sou, ta mère. Je n’ai jamais vu une femme rapace comme ça. Elle laisserait sa fille aller toute nue pourvu qu’elle empoche son salaire. C’est dégoûtant d’exploiter une enfant à ce point. »

À cet endroit, Luce souffrit d’acné. Elle devint la figure toute couverte de têtes noires, ce qui l’humiliait beaucoup alors que ces messieurs et dames de la radio venaient manger à la maison et qu’elle devait servir à table.