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fin de roman

Le fils se maria trois mois plus tard. L’on divisa la maison en deux. Les parents et leur fille en occupaient une moitié et le jeune ménage l’autre moitié.

Le père Bénoni mourut l’année suivante. La mère et la fille continuèrent à vivre de la moitié du revenu de la ferme. Ce furent alors des jours de calme et de paix comme les deux femmes pouvaient en désirer. Elles étaient là tassées dans leur petite vie, dans leur vieille petite maison, dans leurs vieilles petites habitudes. Leur existence était aussi silencieuse et calfeutrée que peuvent la souhaiter une très vieille femme et une vieille fille. Elles étaient comme dans une oasis bienheureuse où les rumeurs du monde extérieur n’arrivaient pas. Toujours, par la suite, Françoise devait se rappeler avec une douloureuse nostalgie cette période de sa vie.

Assise devant l’étroite fenêtre par laquelle on apercevait, l’hiver, la campagne blanche, sévère, triste et glaciale, la mère maintenant dans ses quatre-vingts ans, ses lunettes sur le nez, lisait dans son paroissien habillé d’alpaga noir, les prières qu’elle connaissait depuis tant d’années. Parfois, elle prenait une pomme, mais comme elle n’avait plus de dents pour la croquer, elle la coupait en deux et, avec un couteau, grattait patiemment le fruit qu’elle mangeait ainsi en purée. Pendant ce temps, la fille se berçait, se tricotait des bas de laine.

Pendant longtemps, il n’y avait eu dans leur appartement d’autre bruit que le monotone tic tac de la pendule, que le sifflement de l’eau qui bouillait à la journée dans le « canard » sur le poêle. Outre les deux femmes la seule autre vie dans la pièce était un canari dans sa cage, le chat qui dormait sur les genoux de Françoise et le plant de géranium posé sur le cadre de la fenêtre.