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fin de roman

lorsqu’elle a vu la veuve Lamesse, l’une de ses voisines, qui s’en allait sur la route. Subitement, sans qu’on puisse deviner pourquoi, elle obliqua pour prendre l’autre côté du chemin. Juste à ce moment, elle fut heurtée et projetée à douze pieds par une automobile qui filait à une belle vitesse. L’on a ramassé la malheureuse, sanglante et dans un triste état. Tout de suite, l’on a téléphoné à l’hôpital, disant d’envoyer sans retard la voiture d’ambulance.

— Ben, je vais la voir l’ambulance, fait la tante Françoise. Tous les jours, dans le journal, on parle de l’ambulance, mais je ne l’ai jamais vue, moi.

Elle attend avec impatience. Sa curiosité est extrême. Mais elle est un peu désappointée lorsque la voiture arrive. Elle s’était imaginé autre chose. Mais l’ambulance est inutile. C’est le fourgon de la morgue qu’il faut maintenant, car la blessée est morte. Le fourgon non plus, elle ne l’a jamais vu. À la campagne, ce n’est pas comme à la ville où l’on voit tant de choses.

— C’est seulement ça, fait-elle en le voyant. On dirait un corbillard de pauvre.

La femme qui vient de mourir vivait seule avec son fils qui travaille à l’usine dans la paroisse voisine et qui voyage par autobus matin et soir. Comme l’arrêt de la voiture est à trois arpents de chez lui, le jeune homme fait chaque jour ce bout de chemin à pied et se trouve à passer devant la maison où demeure la tante Françoise. Alors, elle l’attend, elle le guette. Elle veut être la première à lui annoncer la mauvaise nouvelle. À ses yeux, cela lui donne de l’importance. Jamais de sa vie ce garçon ne l’oubliera. Elle pioche dans son jardin en surveillant la route. À cinq heures et demie, elle le voit apparaître. Lorsqu’il passe, le jeune homme la salue.