Page:Laberge - Fin de roman, 1951.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
155
fin de roman

les qui accoururent pour recevoir leur nourriture, elle leur lança une poignée d’avoine prise dans une boîte sous la remise. Pendant que les poules picoraient avidement les grains éparpillés sur le sol, Zélie saisit brusquement le coq et lui tordit le cou. Elle le déposa ensuite à côté du perron où il eut quelques soubresauts avant de mourir. Tout de suite, elle le pluma, l’ébouillanta, le vida et le dépeça. Finalement, elle le jeta dans la casserole pour le faire cuire avec une sauce blanche.

Ça sentait la bonne mangeaille lorsque la tante Françoise qui était allée à l’église arriva à la maison et entra dans la cuisine.

— Qu’est-ce que tu fais donc cuire ? s’informa-t-elle.

— De la volaille. Vous aimez ça la volaille.

— Bien certain que j’aime ça. Mais tu n’as pas tué le coq par hasard ?

— J’ai tué le coq et je vais tuer les poules. Ça coûterait trop cher de les nourrir l’hiver prochain.

— Tu as tué le coq ! prononça la tante Françoise du ton dont elle aurait dit : Tu as tué ton frère.

Et ce disant, la figure de la tante Françoise se rembrunit comme le firmament à l’approche d’un orage.

Et pendant tout le temps du souper, elle demeura muette, sombre, tragique, ne mangeant que de la sauce avec son pain.

— Ça me manque de ne pas entendre le coq chanter au matin. Il y en a que ça ennuie, que ça agace. Moi, j’aimais ça et je m’ennuie de ne plus l’écouter. C’était comme s’il nous avait crié le bonjour. Maintenant, on se lève puis on se met au travail sans rien pour nous dire que c’est une nouvelle journée qui commence. Un coq c’est comme l’angelus. Moi, je trouve que ça valait le prix d’un