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fin de roman

ment, elle a hésité, puis elle l’a cueilli et l’a mangé à son souper.

— Ça me coûtait un peu, dit-elle, parce que c’est un aliment très chargeant, mais je me suis laissée gagner.

Vous pensez peut-être qu’à son âge, quatre-vingt-cinq ans, elle a été incommodée. Une autre aurait eu une indigestion terrible, en aurait crevé. Elle, rien du tout. Elle s’est couchée, a dormi du sommeil du juste et s’est réveillée fraîche et dispose le lendemain.

Et depuis elle en mange un le matin, un le midi et un le soir.

— Elle a un estomac d’autruche, remarque Zélie. Le soir, elle se bourre de porc frais, mange un concombre par dessus le marché et continue de se porter à merveille.

Les oranges

Une parente de la ville a rendu visite à la tante Françoise et à la nièce Zélie et leur a apporté une douzaine de belles oranges.

— Je prends les miennes tout de suite, fait la tante.

Ce disant, elle ouvre le sac, prend six oranges et disparaît dans sa chambre où elle les serre dans un tiroir de sa commode. De cette façon, elle les savourera à loisir dans sa retraite. De les manger bien seule, dans le silence de la maison, elle les trouve encore meilleures.

— J’en mangerai une avant de me coucher, déclara-t-elle. Les oranges, c’est ce que j’aime le plus. J’aime le goût, j’aime la couleur et j’aime l’odeur. Pour moi, il n’y a rien qui puisse se comparer à une orange.

Mais bien qu’elle les adore, jamais elle ne s’en est acheté une et ne s’en achètera jamais. Lentement, elle laisse