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fin de roman

gure affligée. Pour ses repas, on l’avait placée à la même table que M. et Mme Lantier. Ceux-ci surpris de voir une jeune fille plongée dans l’abattement, alors qu’elle aurait dû, semble-t-il, être gaie, enjouée et paraître goûter son voyage, s’étaient montrés très aimables à son égard. Celle-ci d’une nature fort sensible avait été touchée de l’intérêt qu’ils lui manifestaient et elle s’était prise d’une vive sympathie pour ces personnes si différentes d’elle par l’âge, la langue et la nationalité. Parfois, c’est ainsi. On rencontre des gens qu’au premier abord on croirait absolument différents de nous puis, l’on constate avec quelque surprise et une chaude satisfaction que ces étrangers pensent absolument comme nous, voient souvent la vie du même angle que nous, admirent les mêmes choses que nous. Une amitié superficielle mais fort agréable se forme rapidement et elle dure jusqu’à l’heure de la séparation. On en garde le souvenir comme on conserve les jolis bibelots achetés en cours de route. Mais ici, l’attachement avait été plus profond. Près de ses vieux amis, elle avait la certitude de trouver le repos, le réconfort. Combien de fois en pensant à eux, elle se rappelait M. Lantier lui répétant chaque jour pendant leur croisière : La vie est belle. C’était un credo qu’il s’efforçait de lui inculquer. Toutefois, avec les années, elle avait eu la preuve que, dans son cas, c’était une hérésie, car les événements avaient apporté un cruel démenti à cet aphorisme du vieil homme. Maintenant, ce qu’elle voulait, c’était l’oubli, car trop de drames avaient assombri son existence. La destinée, semblait-il, s’était acharnée sur elle, l’avait choisie comme victime.

Oui, à ce moment, c’était vers ses vieux amis qu’elle devait se tourner. Sûrement qu’ils sauraient lui remonter le moral, lui faire reprendre courage, lui redonner la foi en