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fin de roman

— C’est peut-être incroyable, mais vous avez sûrement entendu dire que la réalité est parfois plus étrange que la fiction. Je vis seule. Lorsque vous voudrez m’inviter à souper, écrivez-moi quelques jours à l’avance à l’adresse que vous voyez ici, lui dis-je, en lui indiquant le numéro de l’immeuble.

— Vous aurez bientôt de mes nouvelles, dit-il.

Et prenant ma main dans la sienne, il la pressa légèrement. Bonsoir, dit-il et il s’éloigna.

La pression de sa main avait produit sur moi une étrange commotion. Il y avait six mois que j’étais partie du toit conjugal, que je n’avais causé intimement à aucun homme. Six mois pendant lesquels j’avais été comme une personne qui a passé cette période dans un lit d’hôpital à la suite d’un accident, sans rien pour troubler sa vie.

Et cet homme avait pressé ma main un soir où je me sentais fatiguée de ma vie solitaire.

Je m’endormis très tard cette nuit-là.

La nature humaine que j’avais matée, subjuguée pendant ces six mois semblait maintenant vouloir prendre sa revanche. Pendant la semaine qui suivit, j’avais chaque soir l’impression de sentir cette main d’homme pressant la mienne et je me sentais remuée, frémissante comme une toute jeune fille qui vient de recevoir le premier baiser de son ami. Dans mes moments lucides, je me disais que je devrais être sur mes gardes, me contrôler. Néanmoins, j’attendais avec impatience un mot de mon nouvel ami. Le soir, en entrant chez moi je regardais fébrilement dans la boîte à lettres, mais inutilement. Rien. Il n’y avait rien. J’étais vivement désappointée. Exactement deux semaines après notre rencontre, je reçus quelques lignes de Vernon Faber, me disant qu’il viendrait me chercher le soir pour