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fin de roman

elle absorbait sa pensée et ses regards sur l’eau qui, sans une ride, sans un souffle, glissait lentement vers le fleuve. Pendant de longs moments, elle restait là immobile, s’identifiant pour ainsi dire à cette nappe liquide qui passait, s’en allait. Elle s’abandonnait à cette sensation qui ressemblait à un rêve. Parfois, à un certain moment, une moitié de la rivière remontait vers sa source pendant que l’autre moitié continuait de couler doucement vers le grand fleuve.

À d’autres heures, on aurait cru que l’eau était aussi immobile que celle d’un puits, elle était comme stagnante. D’autres fois encore, la couche d’eau tout entière retournait en arrière comme si elle regrettait les décors, les paysages qu’elle avait traversés et qu’elle voulait les revoir. D’autres fois encore, le côté droit et le côté gauche de la rivière remontaient vers la source lointaine tandis qu’au milieu, un large ruban descendait le courant, filant sans hâte vers son embouchure. Ah ! c’était un cours d’eau bien capricieux et plein de fantaisie que la Rivière Endormie.

Irene Dolbrook sentait une douceur, une langueur entrer en elle en contemplant cette eau si calme, si tranquille.

Certains jours, une légère ondulation agitait imperceptiblement la surface de la rivière. Chacune de ces ondulations reflétait partiellement le décor du rivage. C’était comme un film qui aurait indéfiniment répété la même image. À regarder ce spectacle toujours le même, l’esprit se détachait de la réalité, entrait comme dans un rêve.

La Rivière Endormie était une amie qui verse l’apaisement et la paix.

Un matin, alors qu’Irene Dolbrook était à demi hypnotisée par l’eau, elle aperçut sur la rive en face d’elle une