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fin de roman

longue file d’automobiles se dirigeant toutes du même côté. Intriguée, elle en compta quarante-neuf.

— Qu’est-ce que c’est donc que cette procession, est-ce un mariage ? demanda-t-elle à M. Lantier qui lui apportait une tasse de café.

— Un mariage ? C’est un enterrement. Tous ces gens se rendent à la petite chapelle, là-bas.

— C’est donc un homme bien connu, un homme important qui est mort ?

— Ni important, ni bien connu. Ici, un enterrement est l’unique distraction des habitants. Alors, lorsqu’il y en a un, toute la population y assiste. Personne n’y manque.

Irene Dolbrook n’en revenait pas de sa surprise.

La Rivière Endormie exerçait sur la visiteuse une influence quasi miraculeuse. Irene Dolbrook était comme une personne épuisée, rendue à bout, qui se laisse tomber sur un siège et se repose enfin. C’était une sensation presque physique qu’elle éprouvait en contemplant la calme rivière. Elle sentait une douceur entrer en elle. Son cerveau éprouvait une détente. Elle n’était plus obsédée, torturée par la meute des souvenirs mauvais. Son esprit glissait dans un rêve où tout était paix et silence Son cœur endolori avait cessé de la faire souffrir. Le spectacle de la Rivière Endormie était comme un baume consolateur.

Par des fins d’après-midi, la rivière unie comme un miroir reflétait les nuages gris, blancs, roses, mauves, cuivrés du soleil couchant, les cimes feuillues des ormes, les robustes troncs des arbres, les autos et les camions passant sur la route, les toits bleus, verts, rouges des maisons.