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fin de roman

aller répondre, de ne pas ouvrir, de ne pas recevoir ses enfants qui allaient le voir. Ses enfants, ils le fatiguaient alors, ils l’ennuyaient, et maintenant qu’il est à l’hospice, il voudrait qu’ils aillent lui rendre visite. Mais on n’a pas que cela à faire que d’aller voir ce vieux malpropre. Moi, j’ai mon mari, j’ai mes enfants, j’ai mon travail, mes occupations. Je n’ai pas le temps de me mettre sur la route pour aller voir ce vieux de 85 ans qui persiste à rester sur la terre et à embêter tout le monde. Dis-moi donc pourquoi il ne s’en va pas et ne débarrasse pas les siens. Ah ! on n’a pas de veine. Il y en a des pères qui n’attendent pas si longtemps pour s’en aller. Ils partent et même parfois, ils laissent de beaux héritages, mais lui, je crois qu’il veut se rendre à cent ans et tout ce qu’il nous laissera ce sera l’obligation de payer pour l’envoyer en terre. Ah, malheur ! Il y a des enfants qui n’ont vraiment pas de chance. Tiens, lorsque maman est morte, je pleurais comme un vrai déluge. J’ai pleuré pendant des jours et des jours. Lorsque arrivait l’heure des repas, si je n’avais pas eu à préparer le dîner ou le souper de mon mari et des enfants, je me serais passé de manger tellement j’avais de peine. Mais lui, mon père, lorsqu’il mourra, je n’aurai pas l’ombre d’une larme. Aucun regret. Quand j’y pense ! Il levait la main plus souvent pour nous flanquer une claque par la tête que pour travailler. Moi, j’étais sa bête noire et j’en recevais plus que ma part. Ah, ce qu’il m’a fait endurer alors que nous vivions à la campagne ! Je pourrais le maudire pendant toute la Semaine Sainte. L’été, il me faisait tourner la meule pour aiguiser sa faux et lorsqu’il voyait que je forçais, que j’étais fatiguée, que j’avais le bras cassé, il me regardait durement et appuyait plus lourdement sa faux sur la meule pour que je force davantage. Pour