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fin de roman

ça, je crois que je le haïrai durant l’éternité. Puis, lorsque je devais conduire une paire de chevaux pour décharger une charretée de foin et que les percherons faisaient un pas de trop : « Fais donc attention, air bête », me criait-il. De penser qu’un homme comme ça, est mon père, ça me révolte. Tiens, j’ai eu pendant un an un petit chien qui a été écrasé un jour par un tramway. Eh bien, j’ai eu plus de peine de la mort de ce petit animal que j’en aurai de celle de mon père. Alors qu’il était à l’hospice, j’étais allée le voir avec notre cousin Dumur et, je ne sais à quel propos, celui-ci se mit à parler du diable. Voyant que je ne paraissais pas impressionnée : Tu n’as pas peur du diable ? interrogea-t-il. — Non, je n’en ai pas peur. Je l’ai eu devant les yeux toute ma vie, répondis-je, en lui désignant de la tête le vieux devant nous.

— Mais, tu sais, il souffre. Cette prostate-là le torture, fit le curé.

— Ah, il souffre ! riposta la sœur, mais lorsque maman était malade, il lui disait : Tu souffres, hé bien, endure pour tes péchés afin d’avoir une belle place au ciel. Eh bien, qu’il endure à son tour.

Le curé avait repris son air ennuyé. Ces amères récriminations le fatiguaient, l’agaçaient. Et brusquement, il changea le cours de la conversation.

— Tiens, dit-il, j’ai vu en route le spectacle le plus cocasse que tu puisses imaginer. Figure-toi qu’à un petit village à une heure de Chicago, l’autobus arrête pour prendre quelques passagers. Parmi eux, se trouvait une femme portant dans ses bras un enfant de deux ou trois ans dont la tête était encapuchonnée dans un journal. Elle prend un siège, mais comme tu peux supposer, toutes les