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fin de roman

Tu sais, Thérèse, qu’on a eu un petit souper hier soir. Ça devait rester secret, mais j’étais certaine que tu finirais par le savoir. Alors, j’aime mieux te le dire moi-même. Moi, je t’aurais invitée, mais c’est Guillaume qui refusait de venir si tu devais être de la partie. Il dit que tu as trop mauvais caractère. Tu comprends, c’est l’aîné de la famille et René et moi nous ne voulions pas le mécontenter. Ça nous faisait de la peine de ne pas te voir parce que toute la famille était réunie à la maison.

— J’avais entendu dire que Louise était malade et qu’elle ne pouvait y aller, remarqua Thérèse.

— Non, Louise n’était pas malade et elle était là avec son mari. Et tout le monde a bien mangé. J’avais fait cuire une dinde de douze livres. J’aurais voulu te garder une cuisse, mais ils n’ont laissé que la carcasse. Tu parles que le curé s’est bourré. Il a mangé comme trois. Maintenant, tu sais que les sœurs exigent un surplus de paiement pour la pension de ton père. Guillaume voudrait que ce soit toi qui paie.

— Bien, je constate une fois de plus que j’ai une famille de maudits, rugit Thérèse en raccrochant le récepteur.

« Quand on touche à mon portefeuille, on me frappe au cœur et je ne suis pas pour payer pour ces répugnants », siffla-t-elle.

— Ils disent que je suis malcommode fit-elle en se parlant à elle-même. Oui, c’est vrai que j’ai mauvais caractère. Mais comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Lorsque ma mère m’a portée, elle ne voulait pas m’avoir, elle aurait voulu voir mourir le germe qu’elle portait en elle, elle souhaitait que je reste en route. Je suis née malgré elle, je suis venue au monde à rebrousse poil. Aussi, je me demande quel besoin ils avaient ce vieux et