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fin de roman

mort depuis des jours, car son cadavre était dans un état de décomposition avancée et la figure ressemblait à un fromage à la crème bien mûr qui coule et se répand dans l’assiette.

Comme il n’avait pas de parents, la municipalité le fit enterrer à ses frais.

Pendant des mois le souvenir de Simone hanta l’imagination de Mme Frigon. À toute heure, elle la revoyait étendue, faible, lasse et découragée dans sa chaise longue sur la pelouse. Cette vision était entrée dans son cerveau et était devenue une véritable obsession. La nuit, lorsque l’horloge sonnait lentement les heures dans la maison silencieuse, elle revoyait Simone et il lui semblait qu’elle allait l’entendre tousser. Souvent, elle restait plus d’une heure sans pouvoir se rendormir.

M. Frigon, lui, ne manifestait aucun trouble. Le matin, il partait pour la ville et le soir, il fumait silencieusement sa pipe pendant que sa femme lui tricotait une paire de chaussettes. Parfois, elle lui demandait si la couleur lui plaisait. Elle lui plaisait toujours.

Cet hiver-là parut très long, mais comme toutes les saisons, les jours succédant aux jours, il prit fin. Le printemps revint. Avec le beau soleil, Mme Frigon installa de nouveau sa chaise longue sur la pelouse. La mort de ses trois sœurs l’avait fort impressionnée et elle se demandait chaque jour si ce ne serait pas là son dernier été. Sa vie était faite de craintes et d’angoisses.

M. Frigon s’était remis à tondre le gazon de la pelouse. Chaque soir, après le souper, les voisins regardant entre les branches feuillues des vieux saules, l’apercevaient, vêtu d’une vieille culotte et d’une chemise négligée poussant son instrument en fumant sa pipe. Pendant longtemps ils