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fin de roman

entendaient le bruit monotone de sa mécanique. Son petit canot rouge achevait de pourrir à côté de la clôture. Les jours, les semaines, les mois passaient, s’écoulant lentement, toujours monotones. Chaque jour ressemblait à celui de la veille. Les saisons se succédaient. Aucun événement ne se produisait. Il y avait maintenant deux ans, puis trois, que Simone était morte et Mme Frigon était toujours vivante. Certes, elle prenait bien soin d’elle, évitait toute fatigue, passant de longues heures étendue dans sa chaise longue. Il lui semblait que ces jours qu’elle vivait ainsi étaient un répit avant l’issue fatale, inéluctable. Parfois, elle avait l’impression que c’était du temps qu’elle volait à la mort.

Comme depuis leur mariage, son mari partait chaque matin pour la ville et il revenait le soir. Et suivant son habitude, suivant le rite établi depuis longtemps, il continuait de tondre le gazon de sa pelouse, poussant lentement sa mécanique dont on entendait le bruit monotone. Bien que sa vieille maison en bois fût maintenant inhabitée, il l’avait néanmoins, par un beau dimanche, blanchie à la chaux.

Il y avait environ vingt ans que M. et Mme Frigon étaient mariés. Ils avaient vieilli aux côtés l’un de l’autre. La destinée de Mme Frigon n’était pas d’être emportée par la tuberculose comme ses sœurs. Un jour que le soleil était très ardent, elle eut l’idée de sortir son linge de lit : oreillers, draps, couvertures, afin de les faire aérer. Elle les étendit donc sur la corde en arrière de sa maison. Ensuite, comme chaque après-midi, elle s’étendit dans sa chaise et s’endormit comme la chose lui arrivait souvent. La chaleur était telle que, sans s’en rendre compte, elle transpira fortement. Pendant son sommeil, le temps changea brus-