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IMAGES DE LA VIE

Le jeudi de la semaine avant le mariage, le vieux Boyer regardant le firmament après le déjeuner déclara : « Je crois que c’est un bon temps pour chasser les outardes. Il n’y a rien qui presse. Je vais prendre une journée de congé. »

Ce disant, il rentra dans la maison, prit son fusil accroché derrière le poêle, mit dans sa poche une douzaine de cartouches qu’il gardait dans le haut de l’armoire de la cuisine.

— Je ne sais pas si je reviendrai pour le dîner. Fais-moi donc une couple de beurrées, dit-il à sa femme.

La vieille lui tailla une couple de tartines qu’elle enveloppa dans un sac de papier et les lui remit.

Avec son fusil, ses cartouches et son pain, le père s’éloigna dans les champs. À l’heure du repas, il n’était pas rentré. Alors, le fils et sa mère prirent le dîner sans lui.

Dans les champs, le vieux allait à l’aventure espérant rencontrer une volée d’outardes. Comme le gibier tardait à faire son apparition et que l’appétit se faisait sentir, il s’assit au revers d’un fossé et dévora ses tartines. Tout en mangeant, il songeait qu’il s’était dépouillé de sa terre mais il estimait que c’était logique et que son père à lui avait autrefois agi de la même façon à son égard. Comme il avalait ses dernières bouchées, il aperçut une douzaine d’outardes qui volaient en triangle dans le ciel gris en faisant entendre leur funèbre mélopée. Le vieux ne se hâtait pas d’épauler et de tirer. Sa connaissance de ces oiseaux lui faisait supposer qu’ils s’arrêteraient un moment dans une pièce de sarrasin qui avait été récolté quelques jours auparavant. Il avait deviné juste et comme les voyageurs ailés allaient s’abattre à l’endroit qu’il avait prévu, il visa et tira. Au bruit de l’explosion, les outardes reprirent précipitamment leur vol mais l’une d’elles, mortellement atteinte, resta sur le sol.

Le vieux Boyer était certain de ne pas rentrer bredouille. Tout de même, il n’était pas satisfait et voulait faire mieux encore. La chance le servit et, au cours de l’après-midi, il abattit deux canards sauvages. Après cet exploit, il estima qu’il avait fait une bonne journée et que c’était le temps de rentrer chez lui. Lors donc, il attacha ses trois pièces de gibier à la ceinture de sa blouse et il allait prendre le chemin